Contrer le décrochage scolaire
Des filles
Au Québec, lorsqu’on pense au décrochage scolaire, c’est spontanément le décrochage scolaire des garçons qui, en premier, vient en tête. Mais qu’en est-il du décrochage scolaire chez les filles? Une question qui a interpellé la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), dont 75% de ses membres sont des femmes.
« Nous avons commencé par faire une enquête préliminaire en 2012, notamment par une revue de la littérature scientifique sur le sujet, explique Joanne Bertrand, vice-présidente au secrétariat et à la trésorerie à la FAE, pour ensuite approfondir notre réflexion, ce qui a mené à la publication d’un rapport en 2015.» Si le rapport dégage plusieurs pistes intéressantes, il demeure toutefois incomplet. « Malheureusement, malgré nos efforts, il a été très difficile d’avoir accès à des données sur le sujet, ces dernières étant disséminées dans chacune des commissions scolaires, et parfois même pas colligées. Certaines questions soulevées par notre réflexion demeurent donc sans réponse et l’on ne peut qu’offrir des hypothèses.»
D’abord les chiffres, bien réels. Selon le ministère de l’Éducation, le pourcentage de garçons n’ayant pas de diplôme d’études secondaires à l’âge de 19 ans s’établit à 21,6%, et celui des filles à 12,4%. Par contre, si l’on retient l’âge de 24 ans pour le calcul, comme le font Statistique Canada et l’OCDE, le pourcentage s’établit alors à 10,3% pour les garçons et à 6,6 % pour les filles. « En retenant l’âge de 24 ans pour le calcul, on constate que l’écart entre garçons et filles se réduit.» Comment expliquer ce rapprochement entre garçons et filles? Est-ce que les garçons raccrochent davantage? « On n’a pas de réponse définitive. Notre hypothèse, c’est que les filles raccrochent moins parce qu’elles ont des enfants et qu’elles sont souvent mères célibataires.»
Cet écart plus mince entre le décrochage des garçons et des filles est, aux yeux de Joanne Bertrand, une raison pour s’occuper davantage du décrochage des filles. « Il faut s’assurer que les mesures que l’on met en place pour lutter contre le décrochage scolaire ne s’adressent pas principalement aux garçons, mais aussi aux filles. » D’autant plus que les conséquences économiques du décrochage chez les filles sont plus importantes. «Un garçon sans diplôme secondaire sur le marché du travail peut espérer un salaire annuel d’environ 24 500$, mais pour une fille, ce n’est que de 16 500 $. »
Axes de solution
Dans son rapport, la FAE propose trois axes de solution pour lutter contre le décrochage scolaire des filles et des garçons. «La cause principale du décrochage, peu importe le sexe, c’est la pauvreté. Les études sur le sujet démontrent clairement que c’est dans les familles défavorisées sur le plan socio-économique que les enfants décrochent le plus. Si le gouvernement veut combattre le décrochage, il doit d’abord éradiquer la pauvreté. Malheureusement, les programmes de lutte contre la pauvreté mis en place n’ont pas donné les résultats escomptés. Il est temps de corriger le tir.»
Le second axe propose de lutter contre les stéréotypes sexuels. «Les études ont démontré que plus un jeune adhère aux valeurs et comportements sexuels stéréotypés, plus il éprouve des difficultés scolaires et le risque de décrochage s’accroît. » Et contrairement à ce
que l’on pourrait penser, ce sont les garçons les premières
victimes. «C’est une découverte de notre enquête à laquelle on ne s’attendait pas. Ce sont les garçons, et non les filles, qui adhèrent le plus aux stéréotypes sexuels. Il faudrait donc s’assurer que les activités proposées aux garçons pour lutter contre le décrochage ne viennent pas au contraire renforcer les stéréotypes sexuels.»
L’adversité familiale est aussi une cause du décrochage scolaire, mais elle affecte différemment les garçons et les filles. «Les garçons qui vivent de l’adversité familiale ont tendance à l’extérioriser, tandis que les filles l’intériorisent, ce qui rend plus difficile le dépistage des filles qui sont plus à risque de décrocher. D’ailleurs, c’est pourquoi nous suggérons l’usage d’analyses différenciées selon le sexe dans la lutte contre le décrochage.» Autre raison de mettre davantage d’effort pour contrer le décrochage chez les filles. «La scolarité de la mère a une influence sur le risque de décrochage des enfants. Moins une mère est scolarisée, plus le risque augmente. D’ailleurs, le ministère de l’Éducation le reconnaît puisque la scolarité de la mère est le principal indice pour déterminer si un milieu est défavorisé sur le plan socio-économique. Lutter contre le décrochage des filles, c’est lutter contre le décrochage des filles comme des garçons.»
Raccrocheuse
Mère célibataire de deux enfants, un garçon de 11 ans et une fillette de 7 ans, Mélanie Riel, âgée de 31 ans, travaille aujourd’hui comme préposée aux bénéficiaires dans un hôpital. Mais ce ne fut pas toujours le cas, elle qui a été longtemps une décrocheuse. «J’ai décroché dès que j’ai pu, raconte-telle, mais bien avant, j’étais déjà sur la voie de sortie.»
Elle enfile alors les petits métiers, barmaid, serveuse et puis se marie et donne naissance à ses enfants. « J’étais mariée à un militaire, et comme femme d’un militaire, j’étais donc au foyer.» Mais le couple ne dure pas et se divorce. «C’est à ce moment que j’ai décidé de me prendre en main et de raccrocher.» Ce sera un DEP pour devenir préposée aux bénéficiaires, un métier qu’elle a aimé dès les premiers instants.
Et les enfants alors? « C’est sûr que j’ai entrepris cette démarche pour améliorer la situation de mes enfants. Mais ces derniers m’ont épaulée et ont été une source de motivation. Comme ils étaient aussi à l’école, on faisait nos devoirs ensemble. On a même fait des concours de devoirs. »
Aujourd’hui, en plus de son poste de préposée, elle étudie à l’éducation des adultes afin de terminer son secondaire et ainsi s’inscrire l’an prochain au DEC en sciences infirmières. «C’est évident que raccrocher, au départ, ça fait peur. On se demande comment on peut y arriver. Mais c’est possible, je l’ai fait. Aux femmes qui sont dans la même situation que j’étais, je leur dis : laissez faire vos peurs et allez-y. Ça vaut vraiment la peine, je suis là pour en témoigner. »