Le Devoir

Conciliati­on travailfam­ille-études

Le gouverneme­nt doit envoyer un signal clair

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaborat­ion spéciale

5-10-15. Connaître son horaire au moins 5 jours à l’avance, bénéficier de 10 jours de congés payés pour responsabi­lités familiales ou pour maladie et, bien sûr, le salaire minimum à 15dollars. Si cette campagne 5-10-15 n’est pas complèteme­nt nouvelle, elle revient en force à l’occasion de la Journée internatio­nale des femmes qui aura lieu le 8 mars.

«Il s’agit d’un enjeu fondamenta­l de conciliati­on travailfam­ille-études, souligne Véronique De Sève, vice-présidente de la Confédérat­ion des syndicats nationaux (CSN), responsabl­e du dossier de la condition féminine. Oui, les femmes qui ont des enfants veulent les voir grandir et ont envie d’être près d’eux. Mais le seul choix qu’on leur offre aujourd’hui, c’est de réduire leur temps de travail, parce que les employeurs refusent de leur accorder plus de flexibilit­é. Si elles avaient une autre option, certaines choisiraie­nt le temps partiel, mais pas toutes. D’autant que ça a un impact sur la retraite par la suite.»

Certes, l’homme prend de plus en plus de responsabi­lités au sein de la famille, mais lorsque vient l’heure du choix, dans un couple, de savoir qui va avoir la charge de la sphère familiale, dans la très grande majorité des cas, c’est à la femme que cela incombe. Avec les conséquenc­es que cela a en matière d’avancement profession­nel.

«Tant qu’elle est en couple, ça fonctionne, note Mme De Sève. Tant qu’elle a ses enfants à la maison. Mais lorsqu’ils s’en vont faire leur vie, ou si le couple éclate, elle se rend compte que le choix fait généraleme­nt d’un commun accord, c’est elle qui le subit. »

Sans compter que les emplois traditionn­ellement féminins continuent à être les moins bien rémunérés dans notre société.

«Les femmes naviguent beaucoup dans le secteur des services, rappelle Sylvie Nelson, Secrétaire générale du Syndicat

québécois des employées et employés de service (SQEES-FTQ). Ça se caractéris­e par de la précarité, du temps partiel, des avantages et du salaire plus faibles, elles n’ont pas beaucoup de pouvoir décisionne­l sur leur travail. Elles sont sous-représenté­es dans les emplois syndiqués et surreprése­ntées dans les emplois payés au salaire minimum. »

«Les emplois traditionn­ellement féminins sont peu valorisés, ajoute Véronique De Sève. Ce sont des postes en rapport avec les soins de la personne et, dans l’inconscien­t collectif, c’est comme si c’était dans la nature des femmes de s’occuper des gens. Pourquoi, dès lors, bien les payer alors que ce n’est pas un effort pour elles? Je caricature, mais ce sont des choses qu’on entend…»

Mme Nelson prend l’exemple des résidences privées pour personnes âgées. Le salaire moyen des préposées aux bénéficiai­res y est de 12,50dollars l’heure. «Pour joindre les deux bouts, bien souvent, ces femmes sont obligées d’avoir deux emplois, indique-t-elle. Déjà à 12,50dollars de l’heure, on vit sous le seuil de la pauvreté, mais en plus, ce sont pour la plupart des emplois à temps partiel. Les femmes travaillen­t également souvent dans des petits milieux, qui ne sont pas assujettis à la loi du 1% pour la formation. Elles ont donc moins accès aux formations qualifiant­es et transférab­les, et il leur est alors plus difficile d’aller vers d’autres emplois qui seraient plus payants. »

D’où la revendicat­ion de la part des syndicats d’une loi-cadre, qui intégrerai­t, entre autres, le 5-10-15.

«Sans cette loi, l’employée se retrouve à aller négocier de meilleures conditions de travail, plus de flexibilit­é, directemen­t avec l’employeur, qui bien souvent, lui répond que c’est trop compliqué, raconte Mme De Sève. Le gouverneme­nt doit envoyer un signal clair et ça doit passer par une loi-cadre. Ça fait plus de quinze ans, qu’on parle sérieuseme­nt de la conciliati­on travail, famille,

57% des emplois payés au salaire minimum sont occupés par des femmes

études. Je ne peux pas croire qu’en 2017, on ne puisse pas arriver à des solutions. »

«Si les femmes connaissai­ent une semaine à l’avance leur emploi du temps, ce serait une aide précieuse, ajoute Sylvie Nelson. Les congés payés pour obligation­s familiales, c’est la moindre des choses. Quant au salaire minimum à 15dollars… plusieurs études montrent que ces 15 dollars, c’est effectivem­ent le minimum pour être juste au-dessus du seuil de pauvreté. Or, selon ce que le gouverneme­nt a annoncé, en 2020, on sera rendu à 12,45 dollars. Si on prend en compte l’inflation, ce n’est pas tenable. Et encore une fois, ce sont les femmes qui travaillen­t le plus souvent au salaire minimum.»

En effet, 57% des emplois payés au salaire minimum sont occupés par des femmes. Et contrairem­ent aux idées reçues, ce ne sont pas des étudiantes qui se font la main avant de trouver un meilleur poste, puisque 40 % de ces emplois sont des temps pleins occupés par des travailleu­rs, le plus souvent des travailleu­ses.

«Elles touchent aujourd’hui 11,25dollars l’heure et, malgré tout, les exigences sont de plus en plus grandes de la part des employeurs, ajoute Mme Nelson. Les conditions de vie au travail se dégradent. Il y a de nouvelles attentes, de nouveaux besoins. On leur demande d’en faire toujours plus avec moins. On les fait travailler de plus en plus fort, on leur donne des responsabi­lités qui ne sont pas nécessaire­ment rémunérées. Elles vivent également de plus en plus d’insécurité avec les horaires atypiques, la surcharge de travail, les difficulté­s de la conciliati­on famille-travail. Ça nuit à leur santé physique et mentale. »

Plus de vingt ans après l’adoption de la Loi sur l’équité salariale, la route semble donc encore longue pour en arriver à une véritable équité hommes-femmes au travail.

«Nous devons rester mobilisées, conclut Véronique De Sève. Certes, il y a eu des avancées. Mais lorsqu’on lit dans le journal qu’au sein même des ministères, il y a une différence de 12% entre la rémunérati­on des directeurs de cabinet selon qu’ils sont des hommes ou des femmes, il y a de quoi être scandalisé. Oui, nous avons obtenu l’égalité de droit. Mais cette égalité ne doit pas être juste une valeur, elle doit se traduire dans tous nos gestes, au quotidien.»

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ISTOCK «Les emplois traditionn­ellement féminins sont peu valorisés, ajoute Véronique De Sève. Ce sont des postes en rapport avec les soins de la personne et, dans l’inconscien­t collectif, c’est comme si c’était dans la nature des femmes de s’occuper des gens.»
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CSN-FTQ Véronique De Sève, vice-présidente de la Confédérat­ion des syndicats nationaux (CSN)
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ÉRIC DEMERS Sylvie Nelson, secrétaire générale du Syndicat québécois des employées et employés de service (SQEES-FTQ)

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