Le musée fête ses 25 ans
«Une chance que, dans les années 1940-1950, le Vieux-Montréal a été abandonné, lance Francine Lelièvre, directrice générale et fondatrice du musée Pointe-à-Callière, puisqu’il a ainsi échappé au pic des démolisseurs!»
À cette époque, relate-t-elle, on n’avait aucune conscience des bâtiments patrimoniaux. Ce n’est que dans les années 1970 que le ministère de la Culture du Québec a classé le Vieux-Montréal comme site historique, le protégeant par la même occasion.
Et c’est de la sorte que s’est amorcée l’aventure du musée Pointe-à-Callière.
«Montréal a le grand privilège d’être la seule ville en Amérique qui connaît son lieu de fondation, déclare Mme Lelièvre. On a donc repéré notre lieu de naissance, ce qu’aucune ville en Amérique n’a trouvé!»
Madame musée
Francine Lelièvre pourrait bien être la plus grande passionnée de musée au monde. Elle évolue dans cet univers depuis 1973 et compte un nombre impressionnant de réalisations.
Elle a entre autres été la directrice de la mise en valeur de 26 lieux historiques à Parcs Canada. «Ç’a été le bonheur total de pouvoir développer des lieux historiques», déclare-t-elle. Elle a aussi fait partie de l’équipe fondatrice du Musée de la civilisation de Québec, en plus d’être associée à la naissance de dizaines d’institutions muséales au Québec et à l’étranger.
«J’ai toujours travaillé en développement, remettant la clé une fois le projet complété», ditelle. D’ailleurs, dans les années 1980, elle a été engagée pour un mandat de deux ans seulement pour diriger la construction du musée Pointeà-Callière. Mais après l’ouverture de celui-ci, en 1992, la Ville de Montréal lui a demandé de demeurer en fonction encore six mois. «Et voilà que, 25 ans plus tard, je suis toujours là, note-t-elle. Je suis une femme fidèle, voyez-vous!»
Le legs du 350e
En 1984-1985, raconte-t-elle, on a effectué des fouilles archéologiques aux abords de la rue de la Commune, ce qui a mené à la découverte de la place du Marché à la place Royale. «C’est comme cela qu’on a découvert des vestiges majeurs concernant les origines de Montréal », rapporte Francine Lelièvre.
Jean Doré, alors maire de Montréal et voyant venir le 350e anniversaire de sa ville, voulait par conséquent laisser un legs en mettant en valeur les vestiges de la place Royale. «C’est lui le porteur de ballon du projet», rappelle Mme Lelièvre, rendant hommage à l’ancien maire décédé en 2015.
« Lorsqu’on m’a demandé de réaliser une étude de faisabilité, poursuit-elle, j’ai proposé d’ajouter la construction d’un bâtiment qui protégerait les vestiges du site de la Pointe-àCallière. »
En effet, en 1989, de nouvelles fouilles avaient révélé sur ce site la présence du premier cimetière de Montréal (1643-1654). «Cela nous a permis de certifier qu’on était vraiment sur le lieu de fondation de Montréal», précise Mme Lelièvre. En conséquence, elle a proposé un ensemble de trois pavillons : le pavillon principal — le musée qu’on connaît aujourd’hui en forme d’éperon — , la mise en valeur de la place Royale et de l’édifice de la première douane, situé juste au nord de l’Éperon. «Voilà le legs originel du 350e anniversaire», résume-t-elle.
Dans les égouts de Montréal
D’autre part, en 1989, la Ville de Montréal a cessé d’utiliser l’égout collecteur construit 150 ans plus tôt et qui longe en souterrain la place D’Youville. Cela a donné l’idée à Mme Lelièvre — pour le moins original — de se servir de celui-ci pour relier les pavillons de son musée. «Lorsque j’ai visité cet égout collecteur, l’idée m’est venue: pourquoi ne pas donner accès à ce trésor aux visiteurs? se rappelle-t-elle. Rien de tel n’existe ailleurs en Amérique. »
Par la suite, le Musée a ajouté à ses pavillons la station de pompage du collecteur — un bâtiment de l’ère industrielle de Montréal dont il ne reste guère de trace — puis la Maison-des-Marins.
«Puis, à partir de 1993, raconte Mme Lelièvre, nous nous sommes mis à rechercher un bâtiment qui n’aurait pas de cave, où donc le sol n’aurait pas été creusé et où on serait susceptible de trouver des traces du Régime français. »
Dans les faits, l’équipe de Pointe-à-Callière rêvait de repérer le fort construit par les premiers habitants de Montréal. « Normalement, s’est-on dit, le fort devrait se trouver à l’ouest du musée, indique Mme Lelièvre. J’espérais donc repérer un lieu qui, si on était extrêmement chanceux, aurait été conservé intact depuis le Régime français... Et on a été chanceux!»
Il s’agit d’un vieil entrepôt d’équipements de réparation de bateaux, abandonné depuis des décennies: le 214, place D’Youville. Celui-ci est devenu le plus récent pavillon du musée — les vestiges du fort de Ville-Marie — et qui sera inauguré en mai.
La prochaine étape
Francine Lelièvre rêve maintenant du jour, pas si lointain, dit-elle, où son musée s’étendra jusqu’à la rue McGill !
En effet, le fameux égout collecteur mène jusqu’au majestueux édifice des Douanes, situé à l’extrémité ouest de la place D’Youville. Ce faisant, il passe sous le site de l’ancien Parlement canadien, détruit par le feu en 1849 et aujourd’hui un banal stationnement.
Il s’agissait auparavant du site du marché Sainte-Anne — à l’image du marché Bonsecours —, un édifice qui a par la suite été converti en Parlement lorsque s’est conclu l’Acte d’Union entre le Haut et le Bas-Canada.
« Depuis 2009, on a mené trois séries de fouilles et on en fera une énorme cette année, indique Francine Lelièvre. On a déjà sorti 50 000 objets et il y en a sûrement encore autant: de la vaisselle, des objets de toute sorte et quelques documents. »
Son projet, son rêve, est à présent de mettre en valeur le marché Sainte-Anne-Parlement du Canada en construisant un pavillon semblable à celui de Pointe-à-Callière. Par le fait même, on ouvrirait l’égout collecteur sur ses 400 mètres pour se rendre jusqu’à la rue McGill !
«Tout n’est pas ficelé, indique Francine Lelièvre, mais ça chemine bien. Ça va se faire, mais quand ? Je ne le sais pas… Disons simplement que c’est un rêve qui peut très bien se réaliser à court terme. »
Voilà qui serait un bel aboutissement pour cette Québécoise d’exception.