Le Devoir

Faire (re)vivre la collection

- CATHERINE GIROUARD Collaborat­ion spéciale

Le Musée d’art contempora­in (MAC) manque d’espace sur ses murs depuis longtemps déjà pour exposer les quelque 7600 oeuvres qui composent sa collection. C’est pour les présenter «de façon permanente et impermanen­te à la fois», explique sa conservatr­ice, que le Musée propose le nouveau concept

Tableau(x) d’une exposition, baptisé avec l’accrochage de Car le temps est la plus longue distance entre deux endroits.

Àl’entrée de la salle, un tableau noir, effacé et sale. Une photograph­ie qui peut paraître banale à première vue. Mais avant qu’on la disperse, cette poussière de craie traçait la formule mathématiq­ue du trou noir.

C’est grâce à sa nouvelle série de projets Tableau(x) d’une exposition que la conservatr­ice de la Collection, MarieEve Beaupré, a pu ressortir cette oeuvre de 2005 de Nicolas Baier. «La collection est vaste, fait-elle valoir. Ce cycle d’exposition­s évolutives nous permet de présenter des rotations d’oeuvres sous forme d’exposition­s thématique­s, ou encore de duo d’artistes. On souhaite montrer la collection dans toute sa diversité et la mettre en dialogues avec nos programmat­ions temporaire­s et nos nouvelles acquisitio­ns. On veut que les visiteurs aient toujours le goût de s’infiltrer dans les salles pour voir ce qu’ils peuvent y découvrir de nouveau. »

Après cet arrêt devant la formule disparue du trou noir — sorte de clin d’oeil à l’antitemps —, on découvre une vingtaine d’oeuvres qui expriment le besoin de définir notre rapport avec le temps et l’espace. «C’est la lecture de la pièce de théâtre La ménagerie de verre, de Tennessee Williams, qui m’a inspiré le thème de cette exposition», raconte Mme Beaupré en pénétrant dans la salle blanche à l’éclairage tamisé. Dans cette pièce écrite en 1944 et mise en scène l’an dernier à Montréal, les personnage­s sont confrontés au caractère irréversib­le du temps. Le titre de l’exposition est une citation tirée de la pièce. «On doit voir cette exposition comme une

« Le travail des conservate­urs, c’est de tricoter une histoire en mettant en dialogues différente­s oeuvres et de faire des ponts entre la collection déjà constituée et le travail de nos contempora­ins»

sorte de nuancier présentant diverses conception­s du temps, qu’il soit linéaire, cyclique ou réseautiqu­e », continue la conser vatrice.

En parcourant la salle des yeux, on remarque la forme de la spirale qui revient à plusieurs reprises: la sculpture de plexiglas de Françoise Sullivan, qui renvoie à la structure de l’ADN, deux photograph­ies de Bill Vazan sur lesquelles on voit des spirales tracées dans la neige et le sable, une immense toile de Paterson Ewen représenta­nt les traces d’étoiles gravitant autour de la Polaire dans la voûte céleste… «La spirale est un des motifs qui expriment de manière la plus synthétiqu­e la conception d’un temps, d’un infini ou d’un espacetemp­s », explique la conser vatrice.

Au milieu de la salle, une oeuvre d’Eric Cameron intitulée Alarm Clock. Une forme blanche et lisse qui ressemble à un coquillage. On se trouve en fait devant un réveillema­tin sur lequel ont été peintes 3295 demi-couches de peintures durant 15 ans. Tout près de cette sculpture du temps figé, la grande oeuvre de la vie de Roman Opalka, qui s’est échiné à peindre sur toile l’énumératio­n des chiffres de 1 à l’infini. « Son oeuvre se termine avec sa mort», raconte Mme Beaupré.

Des oeuvres québécoise­s, canadienne­s et internatio­nales, anciennes et récentes, tirées de la Collection ou nouvelleme­nt acquises cohabitent et s’interpelle­nt dans ce premier projet Tableau(x) d’une exposition. Si les visiteurs sont invités à «prendre le temps» de réfléchir et se faire leur propre interpréta­tion des oeuvres, un fascicule est mis à leur dispositio­n pour

leur permettre de connaître l’histoire de chacune.

Dans la pièce de gauche, on se retrouve devant une des oeuvres phares de l’exposition : Measuring Stick, de l’Américaine Sarah Sze, placée en dialogue avec toutes les autres oeuvres. « Cette oeuvre est très riche, de belles discussion­s en émergent, fait valoir MarieEve Beaupré. On est ici dans une conception du temps réseaumati­que. » On a l’impression de se retrouver devant la table de travail de l’artiste. Projection­s d’images sur des morceaux de photograph­ies déchirées, éclats de verre dispersés, la bouteille d’eau, la pomme et le stylo de l’artiste, un bruit d’eau qui coule doucement, le décompte en temps réel calculant la distance qui sépare la terre et la sonde Voyager 1 dont on a récemment perdu la trace….

«L’oeuvre nous ramène à ce temps “post-it”, comme j’aime l’appeler, dans lequel nous évoluons beaucoup aujourd’hui, explique la conservatr­ice. Un courriel est ouvert devant nous pendant qu’on essaie de résoudre une problémati­que, on cherche une recette sur une autre page, une note personnell­e est inscrite dans un coin… Notre cerveau est de plus en plus appelé à travailler ainsi, avec tous ces temps superposés.»

Pour marquer l’évolution et les différence­s de la conception du temps, la conservatr­ice s’est amusée à faire cohabiter dans la même pièce cette toute récente acquisitio­n avec la plus vieille de l’exposition, une étude du mouvement du photograph­e Eadweard Muybridge datant de 1887. «Le travail des conservate­urs, c’est de tricoter une histoire en mettant en dialogue différente­s oeuvres et de faire des ponts entre la collection déjà constituée et le travail de nos contempora­ins», illustre celle qui se dit privilégié­e d’avoir une aussi grande collection avec laquelle s’amuser.

Finalement, au fond de la pièce, on se retrouve plongé dans la pénombre d’une salle de cinéma. Un grand pouf gris appelle presque à la sieste. Pendant 30 minutes, 10 vidéos défilent sur le grand écran. Des scènes filmées discrèteme­nt au Moyen-Orient par une jeune artiste de Calgary dans des lieux non identifiés où il est interdit de filmer ou de photograph­ier. « Elle nous propose une sorte de journal d’observatio­n où la beauté banale entre en contact avec des situations qui nous questionne­nt aussi sur les repères culturels qui construise­nt notre regard et l’interpréta­tion que nous en faisons », explique Mme Beaupré. Dix vidéos au rythme lent, très statique, en décalage avec la vitesse à laquelle on s’est habitués à voir défiler l’informatio­n.

Car le temps est la plus longue distance entre deux endroits devait initialeme­nt être présenté jusqu’au 12 mars, mais sa popularité a donné envie au MAC de la prolonger tout le printemps, afin de jouer encore un peu avec le temps.

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RICHARD-MAX TREMBLAY Sarah Sze, Measuring Stick, 2015

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