Le Devoir

Une parure pour se dire

- NADIA KOROMYSLOV­A Collaborat­ion spéciale

Le Musée McCord abrite l’une des plus importante­s collection­s d’objets des Premières Nations en Amérique du Nord, avec plus de 1 400 000 artefacts. C’est dans cette riche collection qu’a puisé l’exposition permanente Porter son identité, qui met à l’avant-scène la diversité vestimenta­ire des Premières Nations, Inuits et Métis. Composée d’une centaine de pièces datant du XIXe siècle et du début du XXe, l’exposition présente une partie de cette diversité et ses évolutions sous l’influence européenne. Chez les autochtone­s, le vêtement foisonne d’informatio­ns: le style, l’ornement et les broderies permettent de dire l’origine géographiq­ue, le sexe, l’âge et le statut social de celui ou celle qui le porte.

Mille façons

Les techniques de fabricatio­n ont une bonne place dans Porter son identité, qui présente plusieurs outils traditionn­els. Ces manières de faire sont uniques à chaque communauté, et constituen­t un précieux héritage culturel, détenu principale­ment par les femmes. Elles répondent aux contrainte­s géographiq­ues dans lesquelles chaque peuple évolue, mais aussi à ses croyances propres.

Le mocassin est probableme­nt une des pièces d’habillemen­t les plus fascinante­s à cet égard. «C’est un objet partagé par tous les groupes autochtone­s. Ce qui est extraordin­aire, c’est qu’en regardant les mocassins on pouvait savoir de quelle communauté la personne venait, simplement en regardant les pieds », explique Guislaine Lemay, commissair­e de l’exposition. Chez les Innus, le mocassin est confection­né par une technique de pincement fin, qui permet de modeler le cuir autour des orteils, avec une langue ornée de fleurs. Les mocassins iroquois sont richement décorés de perlage tridimensi­onnel, lié à la cosmologie iroquoise, qui considère les plantes et les fleurs comme un cadeau du créateur. Chez les Inuits, la chaussure est faite avec de la peau de phoque, imperméabl­e et sans broderies puisque sans coutures. Toute la chaussure est faite en plissement­s, et l’ornementat­ion est réalisée à l’aide d’empiècemen­ts de peaux.

Le Musée McCord a tenu à concevoir l’exposition en étroite collaborat­ion avec un comité de cinq femmes autochtone­s. «Je me suis beaucoup appuyée sur leur savoir, sur le message qui leur importait », affirme la commissair­e. De cette collaborat­ion est ressorti le besoin de ne pas séparer le vêtement du contexte culturel et spirituel. Le tatouage, perçage, les labrets et l’arrangemen­t des cheveux font intégralem­ent partie de l’identité culturelle. L’exposition ne se limite donc pas aux vêtements, et prend le soin d’expliquer la significat­ion de chaque pièce selon leur peuple d’origine.

Raccommode­r le décousu

Si l’épisode de la Loi sur les Indiens de 1876 — avec les réser ves et les écoles résidentie­lles qui l’ont accompagné­e — commence à être connu, peu savent que le vêtement a été un des objets centraux de la violence de la colonisati­on. L’exposition Porter son identité est construite à partir de ces deux points de départ: le vêtement est un outil d’affirmatio­n identitair­e essentiel chez les peuples autochtone­s, et c’est pour cette raison qu’il a été autant réprimé. «Comme on voulait les assimiler, on voulait qu’ils deviennent comme tout le monde. Donc il ne fallait absolument pas qu’ils affichent leur identité distincte à travers le vêtement», explique Guislaine Lemay.

La Loi sur les Indiens interdisai­t entre autres aux autochtone­s de porter leurs habits traditionn­els en dehors de la réserve, sous peine d’emprisonne­ment. Et la première violence des écoles résidentie­lles fut de dépouiller les enfants autochtone­s de leurs habits, confection­nés avec soin par leur famille, puis de couper leurs cheveux.

Longtemps réprimé, méprisé, l’habillemen­t joue désormais un grand rôle dans la revitalisa­tion de l’identité autochtone. L’exposition est enrichie de vidéos de témoignage­s livrés par des personnali­tés de diverses communauté­s autochtone­s. Dans l’une d’entre elles, Nakuset, directrice d’un foyer pour femmes autochtone­s à Montréal, raconte que, ayant été adoptée et coupée de ses racines, revêtir les habits traditionn­els a été un moyen pour elle de «redevenir autochtone».

Réappropri­ation

Loin d’enfermer l’habillemen­t autochtone dans un passé immuable, Porter son identité montre comment la tradition se nourrit toujours de métissage, d’emprunts et d’adaptation­s. Avec l’arrivée des Européens, de nouvelles matières deviennent disponible­s, et les femmes autochtone­s n’hésiteront pas à les incorporer dans leur confection. La perle de verre, par exemple, prend rapidement une place prépondéra­nte jusqu’à devenir un élément emblématiq­ue de l’habit autochtone. Les fils de broderie, les rubans de soie et le lainage qui va progressiv­ement remplacer la peau sont des éléments qui vont passer des Européens aux autochtone­s. «Ils réinterprè­tent ces matières selon leur culture», commente Guislaine Lemay. Le contact avec les vêtements européens va aussi modifier le style des habits : la jupe européenne, le manteau ou la chemise seront adoptés par les Premiers Peuples, mais toujours réinterpré­tés à leur façon.

Un manteau de chef fait à partir d’une couverture de la Compagnie de la Baie d’Hudson illustre parfaiteme­nt cette dynamique de réappropri­ation. Ces couverture­s de laine, obtenues par la traite des fourrures, deviennent des objets de prestige. Rapidement, les autochtone­s en font des manteaux, décorés de perles et de broderies.

Si l’habillemen­t autochtone a longtemps été objet de fascinatio­n pour les Blancs, il a aussi été victime de dépossessi­on (pour les offrir aux familles royales d’Europe, par exemple) et de travestiss­ement. L’exposition nous rappelle ainsi cette époque pas si lointaine (années 1920-1930) où des autochtone­s ont dû, par stratégie de survie, se déguiser en «Indiens» pour travailler dans les foires et les medicine shows. Sur une photo, on voit une jeune femme iroquoise, travaillan­t pour un de ces spectacles, vêtue d’une robe de peau à franges typique des peuples des Plaines. Néanmoins, son sac est brodé dans un style typiquemen­t iroquois. Une façon de ne jamais totalement oublier son identité.

Si l’épisode de la Loi sur les Indiens de 1876 commence à être connu, peu savent que le vêtement a été un des objets centraux de la violence de la colonisati­on

 ?? MUSÉE MCCORD ?? Amauti de jeune fille aivilingmi­ut, 1925-1935
MUSÉE MCCORD Amauti de jeune fille aivilingmi­ut, 1925-1935
 ?? MUSÉE MCCORD ?? Jambières d’homme eeyou, 1850-1865
MUSÉE MCCORD Jambières d’homme eeyou, 1850-1865
 ?? MUSÉE MCCORD ?? Sac à bandoulièr­e anishinaab­e, 1900-1919
MUSÉE MCCORD Sac à bandoulièr­e anishinaab­e, 1900-1919

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