Le Devoir

Une nouvelle approche muséologiq­ue

- PIERRE VALLÉE Collaborat­ion spéciale

La nouvelle salle dédiée à l’histoire canadienne a été, pour le Musée canadien d’histoire, l’occasion parfaite d’affirmer davantage sa nouvelle approche en muséologie. Entretien avec le directeur général de l’établissem­ent, Jean-Marc Blais.

Dans le cadre des célébratio­ns entourant le 150e anniversai­re de la Confédérat­ion canadienne, le Musée canadien de l’histoire a aménagé une toute nouvelle salle. Cette dernière, d’une superficie de 40 000 pieds carrés, accueiller­a l’exposition permanente sur l’histoire du Canada, de ses origines à nos jours. La nouvelle salle comprend trois galeries: la première est consacrée à l’origine du Canada jusqu’à la NouvelleFr­ance, la seconde à l’époque coloniale, de la Conquête britanniqu­e jusqu’en 1914, et enfin, la troisième est vouée au Canada moderne, de 1914 à aujourd’hui.

Le récit

On ne conçoit plus une exposition aujourd’hui de la même manière qu’autrefois. De nos jours, il est impératif que l’exposition propose aux visiteurs une trame narrative. C’est l’approche qu’a empruntée le Musée canadien de l’histoire pour l’élaboratio­n de l’exposition sur l’histoire canadienne. «Non seulement a-t-on divisé la salle en trois galeries, explique Jean-Marc Blais, mais l’on propose à l’intérieur de ces galeries 18 histoires. De plus, ces histoires sont liées, en ce sens qu’une histoire est toujours en lien avec la précédente et la suivante.»

De plus, le Musée canadien de l’histoire a innové en

élaborant la trame narrative de l’exposition. « Une histoire ou un événement n’est jamais présenté que d’un seul point de vue, mais plutôt selon différente­s perspectiv­es parce que l’histoire ne se vit pas de la même manière pour tout le monde. Par exemple, lorsque l’exposition traite de l’arrivée des peuples autochtone­s, cette histoire est présentée selon une perspectiv­e archéologi­que, donc scientifiq­ue, mais elle est aussi présentée selon les mythologie­s des peuples autochtone­s qui leur servent à expliquer leurs origines. » D’ailleurs, la présence des Premières Nations dans cette exposition est en soi innovante. « Habituelle­ment, l’on présente l’histoire des peuples autochtone­s dans une salle à part. Dans notre cas, les Premières Nations sont présentes tout au long de l’exposition, même dans la galerie consacrée au Canada moderne. »

L’approche sensoriell­e

Aujourd’hui, le visiteur d’une exposition muséale ne veut plus seulement déambuler le long d’un parcours, mais veut y participer. «Le visiteur veut que ça soit aussi une expérience. L’approche didactique ne suffit donc plus et il faut faire appel à une expérience plus sensoriell­e. Par exemple, lorsqu’on a choisi d’aborder le rôle des Filles du Roy en Nouvelle-France, on a retenu le nom d’une d’entre elles et l’on a établi son arbre généalogiq­ue que l’on présente grâce à un véritable arbre, avec branches, que l’on a construit. Cet arbre présente les 600 descendant­s directs de cette femme. D’une part, c’est une façon très sensoriell­e de présenter cet événement historique et d’autre part, une façon éloquente de démontrer l’importance du rôle qu’ont joué les Filles du Roy dans le développem­ent de la NouvelleFr­ance, et par conséquent du Canada. »

Un espace de dialogue

L’exposition se veut aussi un espace de dialogue. « Les personnes qui viennent visiter ce genre d’exposition viennent rarement seules, et plutôt en famille, entre amis ou en petits groupes. Cela veut dire qu’ils vont se parler entre eux au cours de la visite. L’exposition non seulement le permet, mais aussi l’encourage, en cherchant à stimuler, par divers moyens, les discussion­s. Ainsi, la trame narrative comprend des moments plus denses, où le visiteur doit davantage se concentrer, mais aussi des moments plus aérés, plus propices à la discussion. De plus, les visiteurs aiment laisser une trace de leur passage et ils peuvent le faire en écrivant leurs commentair­es à l’aide d’ordinateur­s disposés ici et là. Ces commentair­es seront lus et ceux qui nous semblent intéressan­ts pourront par la suite être intégrés à l’exposition. Les visiteurs auront l’occasion de laisser des traces, et ces traces seront ensuite accessible­s aux nouveaux visiteurs. »

L’artefact

Comme il s’agit d’une exposition dans un musée, l’artefact sera au coeur de celle-ci; l’exposition en présente plus de 3000 si l’on tient compte des images et des cartes géographiq­ues. «Les artefacts sont l’ossature de l’exposition et la trame narrative est construite autour d’eux. Mais pour que les artefacts jouent leur rôle pleinement, on ne peut plus les présenter de manière convention­nelle. Nous avons une sculpture inuite représenta­nt un Européen. Cette sculpture date de 1350 donc elle est antérieure au moment où l’on croyait possibles les contacts entre Inuits et Européens. Mais la sculpture est toute petite, elle tient dans la paume d’une main. Pour la présenter, et en souligner toute l’importance, il a fallu inventer une mise en scène.»

Un lieu évolutif

C’est sans doute, selon Jean-Marc Blais, une première dans l’histoire muséale des exposition­s historique­s. L’exposition sur l’histoire canadienne du Musée canadien de l’histoire se veut évolutive. « C’est évidemment une exposition permanente, mais on a voulu que le lieu soit évolutif. Les équipement­s sont donc conçus afin de pouvoir changer certains éléments et en intégrer de nouveaux. Par exemple, ça pourrait être un nouvel artefact que l’on acquiert et que l’on intègre ensuite à l’exposition. Mais l’exposition pourrait aussi être modifiée à la lumière de nouvelles découverte­s archéologi­ques ou historique­s. De plus, ce lieu évolutif, surtout dans la troisième galerie, nous permet de nous mettre à jour selon l’histoire canadienne qui se vit aujourd’hui. C’est aussi une manière de démontrer que l’histoire, ce n’est pas que du passé, mais que l’histoire s’écrit aussi au présent.» L’exposition sera inaugurée le 1er juillet 2017.

 ?? MUSÉE CANADIEN DE L’HISTOIRE ?? Sculpture inuite d’un Européen (vers 1350), ne faisant que 5cm de hauteur environ, est la représenta­tion la plus ancienne d’un Européen (probableme­nt un Scandinave) dans l’hémisphère occidental.
MUSÉE CANADIEN DE L’HISTOIRE Sculpture inuite d’un Européen (vers 1350), ne faisant que 5cm de hauteur environ, est la représenta­tion la plus ancienne d’un Européen (probableme­nt un Scandinave) dans l’hémisphère occidental.

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