Le Devoir

Décret migratoire, deuxième mouture

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

C’est reparti. Le président Trump revient à la charge avec un nouveau décret migratoire. L’entrée aux États-Unis et la délivrance de visa pour les citoyens de six pays (Iran, Libye, Somalie, Syrie, Soudan et Yémen) seront suspendues pour 90 jours à compter du 16 mars.

Le décret présidenti­el interdit aussi d’accepter des réfugiés sur le sol états-unien. Il prévoit par contre des exceptions pour les détenteurs de visas déjà en vigueur et pour les binationau­x.

Le nouvel ordre, signé discrèteme­nt lundi, en remplace un premier adopté en grande pompe le 27 janvier. Cette première démarche avait été vite critiquée à l’intérieur comme à l’extérieur et a finalement été suspendue par deux jugements de tribunaux.

Les nouvelles mesures prennent acte des remarques juridiques tout en maintenant les mêmes objectifs: suspendre les visas pour différents pays musulmans; bloquer l’admission de réfugiés; durcir les contrôles aux frontières.

«Ce décret s’intègre dans nos efforts pour éliminer les vulnérabil­ités exploitées par les terroriste­s islamistes radicaux à des fins destructri­ces», a dit le chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson, lors d’une déclaratio­n avec ses homologues de la Justice et de la Sécurité intérieure. Le président, invisible lundi, a signé le document dans le Bureau ovale.

Le gouverneme­nt a justifié l’urgence de ces mesures en affirmant qu’environ 300 personnes entrées comme réfugiés faisaient actuelleme­nt l’objet d’une enquête antiterror­iste du FBI.

Reste à savoir si, cette fois, les mesures résisteron­t à l’épreuve des tribunaux.

« Le nouvel ordre exécutif semble avoir plus de chances de passer le test légal que le premier», dit au Devoir Andréanne Bissonnett­e, coordonnat­rice de l’Observatoi­re sur les États-Unis et spécialist­e des questions migratoire­s. « D’un côté, il y a des précédents pour des interdicti­ons de ressortiss­ants étrangers aux États-Unis, par exemple au XXe siècle contre l’immigratio­n asiatique. D’un autre côté, le nouveau décret ne semble pas répondre à l’inquiétude des tribunaux concernant l’interdicti­on de séjour de certaines personnes représenta­nt un intérêt particulie­r pour les États-Unis, par exemple dans le milieu académique. Il pourrait donc y avoir encore matière à poursuite devant les tribunaux. »

Donald Trump a retiré l’Irak de la liste des pays dont les ressortiss­ants ne peuvent pénétrer en sol américain

Mme Bissonnett­e relève six différence­s entre les deux décrets.

Pays. Washington retire l’Irak de la liste des pays honnis. « Cette décision s’appuie sur un élément central mentionné par le secrétaire d’État et le secrétaire à la Défense, à savoir que l’Irak coopère avec les États-Unis dans la lutte contre le terrorisme, et plus particuliè­rement la lutte contre le groupe État islamique. En plus, le gouverneme­nt irakien s’est engagé à coopérer pour la délivrance des visas, notamment pour la vérificati­on des antécédent­s de leurs citoyens.» La faveur pourrait aussi signaler une volonté de ménager l’image du gouverneme­nt irakien allié des États-Unis.

Réfugiés. L’ordre de janvier plaçait les réfugiés en provenance de Syrie dans une classe à part en suspendant leur admission aux ÉtatsUnis pour une durée indétermin­ée. La suspension est ramenée à 120 jours, comme pour ceux du reste du monde.

Religions. La première mouture accordait une faveur aux demandes de réfugiés appartenan­t à des minorités religieuse­s. La seconde élimine cette mesure. «Le changement découle des avis des tribunaux qui jugeaient que la mesure visait davantage un groupe religieux, c’est-àdire les musulmans. Le nouvel ordre va tenter d’éviter la contestati­on juridique sur cette base.»

Exceptions. Le premier interdit touchait aussi les résidents permanents aux États-Unis comme les détenteurs d’une double citoyennet­é ou d’un visa valide. Il est maintenant explicitem­ent mentionné que les mesures discrimina­toires ne concernent pas ces catégories. «Cette décision touche les citoyens canadiens qui ont par exemple une double nationalit­é avec un des six États visés, explique encore Mme Bissonnett­e. Un Canado-Iranien pourra donc par exemple continuer à voyager aux États-Unis s’il y entre avec son passeport du Canada.»

Délais. Les douaniers et les agents frontalier­s bénéficien­t maintenant d’une période de dix jours avant la mise en applicatio­n du décret. La première fois, le système de contrôle aux frontières avait eu à appliquer les transforma­tions immédiatem­ent, en improvisan­t. «On est beaucoup moins dans l’urgence qu’en janvier. »

Le président a signé le nouveau document en catimini alors que le premier avait fait l’objet d’une autre spectacula­ire mise en scène trumpienne, au Pentagone. « Nous sommes moins dans la politique spectacle.»

L’ordre présidenti­el précédent a été très rapidement annulé par deux décisions de justice. Le décret original avait aussi été très critiqué à l’étranger et aux États-Unis par les adversaire­s de la position républicai­ne jugée antimusulm­ane, voire carrément raciste.

La Maison-Blanche a peaufiné sa deuxième version pour la rendre plus apte à réussir le test

des tribunaux. L’objectif est de réaliser une des promesses centrales de la dernière campagne électorale républicai­ne. Le candidat Trump répétait qu’il allait sécuriser davantage les ÉtatsUnis

en bloquant les frontières aux Mexicains et aux musulmans.

Discrétion.

 ?? MARK WILSON AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le président Donald Trump a signé — en l’absence des photograph­es — un nouveau décret migratoire, et il a chargé le secrétaire d’État, Rex Tillerson (à gauche), le procureur général, Jeff Sessions (à droite) et le chef de la Sécurité intérieure, John Kelly (absent sur la photo), d’en expliquer le contenu.
MARK WILSON AGENCE FRANCE-PRESSE Le président Donald Trump a signé — en l’absence des photograph­es — un nouveau décret migratoire, et il a chargé le secrétaire d’État, Rex Tillerson (à gauche), le procureur général, Jeff Sessions (à droite) et le chef de la Sécurité intérieure, John Kelly (absent sur la photo), d’en expliquer le contenu.

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