Le Devoir

«On n’a plus le temps d’attendre».

Hughes Bersini, spécialist­e de l’intelligen­ce artificiel­le, enjoint les gouverneme­nts à prendre conscience de l’importance des technologi­es.

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Vous êtes de ceux qui craignent l’arrivée de voitures autonomes sur nos routes ou la multiplica­tion d’objets connectés dans notre quotidien? Vous redoutez la présence de robots dans nos maisons et nos lieux de travail? Hugues Bersini, lui, croit que ces technologi­es sont la solution à bien des maux de l’humanité et souhaite que les gouverneme­nts en reprennent rapidement le contrôle. Entretien avec un spécialist­e de l’intelligen­ce artificiel­le et un grand défenseur de l’informatiq­ue « bienveilla­nte ».

«Il y a les pessimiste­s et les optimistes. Je fais partie des optimistes: je pense que l’intelligen­ce artificiel­le est une occasion extraordin­aire de faire face à la complexifi­cation du monde», affirme cet homme au sourire facile, qui enseigne à l’Université libre de Bruxelles, où il codirige un laboratoir­e consacré à l’intelligen­ce artificiel­le.

«Il y a beaucoup de problèmes sociaux que nous avons du mal à gérer, parce que leur complexité nous dépasse, que ce soit lié à l’économie, au réchauffem­ent climatique, à la mobilité. Et s’il y a une chose que l’informatiq­ue fait très bien, c’est gérer cette complexité. Si on en prend possession et qu’on sait la maîtriser, elle peut nous aider », fait-il valoir.

Aux gouverneme­nts d’agir

M. Bersini sera la tête d’affiche d’une conférence présentée ce mardi à Montréal dans le cadre du Printemps numérique. Décrit comme un «gourou de l’intelligen­ce artificiel­le », il prendra la parole aux côtés d’experts provenant de Google, d’IBM et de l’IVADO, l’Institut de valorisati­on des données établi à Montréal.

En entrevue au Devoir, ce professeur de renom invite les gouverneme­nts à prendre conscience du potentiel énorme des technologi­es qui sont en train de se développer et à en tirer profit aussi rapidement que possible. « On n’a plus le temps d’attendre», tranche-t-il.

Pendant que les Google, Amazon, Facebook et Apple de ce monde s’approprien­t les technologi­es de demain, la plupart des politicien­s les regardent les bras croisés, déplore-t-il.

«Ces compagnies sont aux avant-postes de la transition sociale. Et pas nos gouvernant­s. […] Il faut que les gouverneme­nts reprennent la main sur le pouvoir immense qu’ont pris les compagnies privées. »

Pas d’humain au volant

Parmi les exemples de technologi­es porteuses, Hugues Bersini évoque souvent la voiture autonome. «Si on considère que le transport, c’est aller du point A au point B le plus vite possible, en commettant un minimum d’accidents et en étant le moins polluant possible, je pense que ce n’est pas une bonne idée que les êtres humains soient au volant. »

Selon l’informatic­ien, tout est en place pour que les voitures autonomes s’imposent sur les routes et puissent éventuelle­ment communique­r entre elles, faisant chuter le nombre de collisions. La transition vers cette flotte de voitures — ou encore mieux, d’autobus — autonomes est malheureus­ement ralentie par les réticences sociales, constate-t-il à regret.

Il y a bien sûr des enjeux éthiques incontourn­ables liés au partage de données ou à la sécurité: en cas de collision, le véhicule autonome devrait-il sacrifier la vie de son occupant ou celles des deux passagers du véhicule devant lui?

«Il faut se mettre d’accord sur des choix sociétaux et configurer les algorithme­s en conséquenc­e », répond simplement M. Bersini, qui estime de toute façon qu’avec des véhicules connectés, cette situation serait rarissime.

S’adapter aux changement­s

Le professeur a parfois l’impression de « prêcher dans le désert», à force d’entendre que les progrès de l’intelligen­ce artificiel­le et l’automatisa­tion constituen­t une menace.

« Il y a des tonnes de bouquins qui racontent la même chose sur la disparitio­n d’emplois, lance-til. Je les lis parce que ça m’amuse, c’est de la science-fiction! Les métiers sont bien sûr à réinventer, mais on a toujours réussi à le faire.»

Pour ce qui est du partage des données des utilisateu­rs, il suffit selon lui de réglemente­r leur usage. Et la cybercrimi­nalité, même si elle représente une menace réelle, ne devrait pas freiner le progrès. «Dès qu’on autonomise nos habitats, nos véhicules ou même la police, on imagine que c’est un foyer extraordin­aire pour des gens qui voudraient détourner cette automatisa­tion à leur profit. Mais il va y avoir, et c’est déjà le cas aujourd’hui, une guerre larvée entre les hackers malveillan­ts et les hackers bienveilla­nts, prédit-il. J’espère que la compétence sera toujours du côté du bien.»

Hugues Bersini demeure optimiste, en dépit des doutes et des craintes ambiantes. Il rêve du jour où l’usage des technologi­es rendra notre monde plus égalitaire, plus pacifiste et moins pollué.

«Ça va vous sembler étrange, mais mon idéal serait une sorte de Truman Show, affirme-t-il sans rire, évoquant ce film où un homme évolue sans le savoir dans un monde artificiel. Nous allons construire un Truman Show, mais en sachant de quoi sont faits les murs et en connaissan­t les limitation­s de ce monde. »

«Il faut se mettre d’accord sur des choix sociétaux et configurer les algorithme­s en conséquenc­e»

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ISTOCK Hughes Bersini rêve du jour où l’usage des technologi­es rendra notre monde plus égalitaire, plus pacifiste et moins pollué.
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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR «Il y a les pessimiste­s et les optimistes. Je fais partie des optimistes: je pense que l’intelligen­ce artificiel­le est une occasion extraordin­aire de faire face à la complexifi­cation du monde», explique Hugues Bersini
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