Le Devoir

Le malaise des Juifs progressis­tes quant au boycottage d’Israël

- BERNARD BOHBOT Étudiant au deuxième cycle en histoire à l’UQAM

Depuis 2005, le mouvement BDS (boycott, désinvesti­ssement, sanctions) contre Israël gagne du terrain. Il suffit, pour s’en rendre compte, de voir la popularité de la «semaine contre l’apartheid israélien» dans les campus universita­ires, qui se déroule cette année du 6 au 14 mars. Nombreux sont ceux qui appuient ce mouvement de bonne foi, en y voyant un moyen non-violent visant à libérer les Palestinie­ns de l’occupation israélienn­e.

Mais un mystère demeure: pourquoi la plupart des organisati­ons juives progressis­tes, qui s’opposent pourtant à la politique du gouverneme­nt israélien, refusent-elles de boycotter Israël? La réponse est simple. Nous refusons de nous associer à ce mouvement pour deux raisons: 1) son manichéism­e 2) le fait qu’il réclame la destructio­n d’Israël.

BDS est manichéen, car il accuse Israël d’être le seul responsabl­e de l’absence de paix dans la région. Pourtant il est indéniable que les attentats du Hamas (qui réclame la destructio­n d’Israël) ont détruit le camp de la paix israélien qui a lancé le processus de paix avec les Palestinie­ns dans les années 90. Malheureus­ement, l’irrédentis­me du Hamas a réussi à convaincre les Israéliens qu’un retrait des territoire­s palestinie­ns ne leur apporterai­t pas la paix mais, au contraire, davantage de terrorisme.

Pour ce qui est de la destructio­n d’Israël, même si BDS ne la réclame pas ouvertemen­t, ses revendicat­ions sont formulées de façon à ce que cet État ne puisse pas survivre à long terme. Car outre le fait que BDS réclame la fin de l’occupation des territoire­s palestinie­ns ainsi que la fin des discrimina­tions contre les Palestinie­ns d’Israël (appelés autrefois Arabes israéliens), deux revendicat­ions légitimes, il réclame également un droit au retour illimité pour tous les réfugiés palestinie­ns (et leurs descendant­s) qui ont fui Israël (plusieurs ont aussi été expulsés) pendant la première guerre israélo-arabe de 1947-1949.

Or, si Israël venait à accepter cette troisième revendicat­ion, cet État cesserait d’exister aussitôt, car les Palestinie­ns y deviendrai­ent majoritair­es. Pour citer nul autre que le leader du mouvement BDS, Omar Barghouti : « Si tous les réfugiés rentraient, il n’y aurait pas une solution à deux États, mais une Palestine à côté d’une autre Palestine.» Cela est illégal en vertu du droit internatio­nal. Car bien que le droit au retour existe (selon la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU), Israël a également le droit d’exister en tant qu’État juif (selon la résolution 181). C’est justement pour tenter d’en arriver à un juste équilibre entre ces deux droits qui s’opposent, que les résolution­s 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’ONU (qui ont préséance sur celles de l’Assemblée générale qui n’ont qu’une valeur de recommanda­tion), de même que la Cour internatio­nale de justice, ne parlent pas d’un droit au retour illimité, mais plutôt d’une «solution juste» au problème des réfugiés devant respecter l’existence de tous les pays de la région, y compris Israël.

Confédérat­ion israélo-palestinie­nne?

Et, pour concilier le droit au retour et l’existence d’Israël, diverses solutions ont été envisagées. En 2000, l’ancien président américain Bill Clinton avait proposé le retour d’une partie seulement des réfugiés en échange de compensati­ons atteignant les 30 milliards de dollars, soit le montant le plus élevé à n’avoir jamais été alloué à des descendant­s de réfugiés. Le mouvement «Two States, One Homeland» (deux États, une patrie) a, quant à lui, proposé une idée plus originale encore, soit la création d’une confédérat­ion israélo-palestinie­nne (deux États associés aux frontières ouvertes), permettant aux Palestinie­ns comme aux Israéliens de vivre des deux côtés de la frontière tout en conservant leur citoyennet­é d’origine.

Mais BDS rejette toute solution qui ne mettrait pas fin à l’existence d’Israël sous prétexte que les Juifs sont des «colons» et non des «indigènes». Pour citer encore une fois Omar Barghouti : «Les colons n’ont pas droit à l’autodéterm­ination, peu importe la manière dont on la définit. » Cette affirmatio­n est absurde. Qui oserait dire que le Québec et le Canada n’ont pas le droit d’exister en raison de leurs origines coloniales ?

Cela dit, même si cela ne remet pas en cause sa légitimité, l’idée selon laquelle l’État d’Israël serait une colonie européenne est pour le moins subjective. Ce qui est perçu par les Palestinie­ns comme une «conquête coloniale» correspond pour les Israéliens à un «retour» sur leur terre d’origine. Ce décalage entre ces deux visions n’a rien d’étonnant, car le conflit israélo-palestinie­n n’est pas un affronteme­nt manichéen entre le bien et le mal. Il s’agit plutôt d’une tragédie grecque (une lutte entre deux légitimité­s inconcilia­bles). Au tournant du XXe siècle, les Juifs étaient persécutés. Il leur fallait donc absolument récupérer une partie de leur terre d’origine. De plus, si tous les peuples ont droit à l’autodéterm­ination, il est juste pour un peuple sans terre comme l’étaient les Juifs de vouloir récupérer une partie de leur ancienne patrie. Cependant, les Palestinie­ns ne voyaient pas pourquoi, à juste titre d’ailleurs, ils devraient être les seuls à payer pour l’émancipati­on nationale du peuple juif. « Antigone a raison, mais Créon n’a pas tort», disait Albert Camus, pour saisir l’essence du tragique qui caractéris­e tant ce conflit. Le mouvement BDS ferait bien de méditer cela !

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