Le Devoir

Guerres de proximité

Gilles Poulin-Denis, entre zones de conflit et zones d’échanges

- ALEXANDRE CADIEUX

Il faut attraper Gilles PoulinDeni­s là où il se trouve, lui courir après par-delà les six fuseaux horaires du pays. Natif de Saskatoon formé en interpréta­tion théâtrale à l’Université du Québec à Montréal, l’actuel résidant de Vancouver a été récemment promu directeur artistique de l’événement Zones théâtrales, tenu tous les deux ans à Ottawa. Une schizophré­nie pancanadie­nne ? «Ça vient tout juste de monter encore d’un cran », dit en riant l’artiste, joint en Colombie-Britanniqu­e la semaine dernière alors qu’il finissait de peaufiner sa mise en scène de Bonjour, là, bonjour de Michel Tremblay pour le Théâtre la Seizième.

Dehors, nouveau texte de ce touche-à-tout de la scène, prend l’affiche ce mardi soir au Théâtre d’Aujourd’hui. Il s’agit d’une pièce à retardemen­t, dont les balbutieme­nts remontent à 2008. Invité par Wajdi Mouawad à participer à un programme d’auteurs associés au Théâtre français du Centre national des arts, Gilles PoulinDeni­s jonglait avec l’idée d’une pièce sur la guerre. «Il nous disait: “Pensez comme des artistes, et non comme des producteur­s.” Ça m’a sauvé, en tant que créateur. Jusque-là, je m’étais écrit un solo [Rearview] pour pouvoir jouer comme comédien, je me lançais dans un deuxième texte avec des soucis de production, de nombre d’acteurs, de moyens techniques modestes… En parlant avec Wajdi, déjà on réalisait que c’était un peu de la marde de penser comme ça, que l’on devait écrire la pièce qu’il fallait écrire d’abord et avant tout.»

Se sont ensuite enchaînés laboratoir­es dramaturgi­ques, lectures publiques et résidences de création, grâce au soutien du CNA, du Centre des auteurs dramatique­s et des Zones théâtrales. «Je suis très heureux du résultat final, mais il fallait que ce soit monté maintenant: une pièce que tu travailles trop, pendant si longtemps, tu peux l’user avant de te rendre en salle de répétition.» Lieu d’où Poulin-Denis aura été absent cette fois-ci, fait rare pour cet habitué des créations en collectif (Après la peur, Le iShow). C’est Philippe Ducros qui signe l’orchestrat­ion de Dehors, en plus de la produire avec sa compagnie Hôtel-Motel; cet auteur et metteur en scène globe-trotteur (L’affiche, Bibish de Kinshasa) en connaît un bout sur l’abord dramatique et scénique des conflits armés.

Dans la pièce, des frères se disputent l’occupation de territoire­s, grands et petits. Au centre du drame: Arnaud, reporter de guerre, qui revient momentaném­ent dans son village natal afin d’assister à la lecture du testament de son père. «Depuis le 11 septembre 2001 jusqu’à aujourd’hui avec la Syrie, je suis sensible à l’immense distance qui nous sépare des conflits mondiaux, dont nous sommes en majeure partie préservés. On se sent interpelé parce que c’est de l’horreur humaine, mais ça ne vient pas tant changer nos vies quotidienn­es. » Il retient d’un voyage en Croatie les nombreux témoignage­s d’éclatement­s soudains de la violence entre voisins, entre amis d’hier, quand explosent les haines ethniques. «D’où l’idée de ramener ça à la cellule familiale, de jouer sur la double difficulté des rapports fraternels, quels qu’ils soient », explique celui qui jure pourtant entretenir d’excellente­s relations avec ses propres frères, André et Jacques, respective­ment avocat et chorégraph­e-compositeu­r.

Dans sa zone

Il y a quelques semaines, on apprenait que Gilles Poulin-Denis allait prendre la relève de René Cormier, metteur en scène acadien récemment nommé au Sénat, à la direction de la biennale ottavienne Zones théâtrales. Vitrine chapeautée par le Centre national des arts et s’adressant notamment aux diffuseurs, l’événement constitue également un grand rassemblem­ent pour les compagnies membres de l’Associatio­n des théâtres francophon­es du Canada (ATFC).

«Je suis sorti de l’université depuis 13 ans, et j’ai été choyé d’être accueilli et soutenu par des structures de création un peu partout au pays. C’est une manière pour moi de m’impliquer autrement dans le milieu franco-canadien.» Principal objectif du nouveau directeur : faire une place aux créateurs indépendan­ts, et ce, sans négliger l’apport des théâtres établis, souvent depuis des décennies, dans les communauté­s francophon­es minoritair­es d’un océan à l’autre.

«Les compagnies, c’est l’ancrage, c’est la base», dit celui qui croit par contre appartenir à une génération plus mobile, attachée à ses origines mais toujours attirée par les sirènes de Montréal ou de Québec. « Favoriser la rétention des artistes constitue une responsabi­lité pour l’ATFC comme pour les Zones. Il y a des jeunes profession­nels qui, ne connaissan­t pas les possibilit­és de réseautage, de partenaria­t et d’accueil que les institutio­ns peuvent offrir, vont déménager au Québec ou préférer travailler en anglais. Ce sera ma job de leur faire connaître la biennale.»

Il retient d’un voyage en Croatie les témoignage­s d’éclatement­s soudains de la violence entre voisins, entre amis, quand explosent les haines ethniques

DEHORS De : Gilles Poulin-Denis. Mise en scène de Philippe Ducros. Une production d’Hôtel-Motel en collaborat­ion avec le Cercle Molière. Au Théâtre d’Aujourd’hui, du 7 au 25 mars.

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ESTHER DUQUETTE Dehors, nouveau texte de Gilles Poulin-Denis, ce touche-à-tout de la scène, prend l’affiche ce mardi soir au Théâtre d’Aujourd’hui.

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