Le Devoir

Succomber à l’horreur LIVRE ET CINÉMA

Samuel Archibald se laisse aller à sa passion dans deux nouveaux projets

- FRANÇOIS LÉVESQUE à Saguenay

La websérie (T) erreur 404 et un roman à paraître voient l’auteur d’Arvida et de la pièce Saint-André-de-l’Épouvante poursuivre son exploratio­n du genre horrifique.

En acceptant de siéger au jury du festival internatio­nal de court métrage Regard, qui se déroule à Saguenay jusqu’à dimanche, l’une des premières questions que s’est posées Samuel Archibald fut de se demander s’il verrait beaucoup d’oeuvres d’épouvante. C’est que le genre est pour lui une véritable passion. Il l’analyse, l’enseigne. Il l’écrit, aussi. Diffusée à la fin du mois sur Tou.tv, la websérie

(T) erreur 404 en constitue le plus récent exemple. Un roman en forme d’hommage à Stephen King le tient en outre très occupé.

«Le roman sera constitué de quatre novellas, explique Samuel Archibald. Je l’ai construit un peu comme le recueil Différente­s saisons, de King, avec une histoire par saison. Les siennes étaient toutes dans un registre réaliste, tandis que moi je vais dans le fantastiqu­e pour les quatre. Je veux replonger dans l’inquiétant­e étrangeté. Alice Munro est une autre influence. Elle peut être très insolite, gothique. C’est une déclaratio­n d’amour assumée au genre.»

Quant à (T) erreur 404, un clin d’oeil au code d’erreur informatiq­ue, il s’agit d’une websérie anthologiq­ue coécrite avec William S. Messier et réalisée par Sébastien Diaz, autre fervent d’horreur. La société Casablanca, derrière Série noire, produit.

«Sébastien est venu me chercher en me demandant si j’avais une idée de série. J’ai embarqué mon chum William. On est dans le trip Ray Bradbury présente Twilight Zone. Le concept est axé sur les technologi­es, chaque épisode contant “la pire chose qui puisse t’arriver sur Tinder”, “la pire chose qui puisse t’arriver sur Facebook”, “la pire chose qui puisse t’arriver sur Airbnb”, etc. Ce sont de courtes fictions indépendan­tes de 8 à 12 minutes. C’est un bel exercice de concision. On dispose de très peu de temps pour la mise en place, l’atmosphère; c’est vraiment un défi.»

Recréer le traumatism­e

L’histoire d’amour entre Samuel Archibald et l’horreur remonte à l’enfance. Une présentati­on du film Les dents de la mer, à la télé, à un âge très tendre, le traumatisa. Un traumatism­e en l’occurrence merveilleu­x qu’il ne cessa de vouloir revivre par la suite.

«Ma mère était brillante pour partir de ce que j’aimais afin de me montrer autre chose. Je devais avoir 10 ans, et j’étais déjà féru de films d’horreur, et je regardais surtout des slashers, dont ceux de la série Vendredi 13 [avec le tueur Jason, qui, un masque de gardien de but vissé sur le visage, trucide des jeunes en forêt]. Et ma mère m’a dit: “Je vais te montrer un film bien plus malsain qui s’appelle Psycho.” L’histoire d’un gars qui a tué et empaillé sa mère? Wow ! »

On appréciera l’ironie macabre de l’anecdote.

Dénigré mais essentiel

Les amateurs le savent, il faut souvent se justifier d’apprécier ce genre précis, volontiers dénigré. Tabou, d’aimer l’horreur, chez les gens respectabl­es ?

«Je pense que oui. Pourtant, l’horreur, c’est le seul genre populaire qui ne verse pas dans ce qu’Umberto Eco appelait l’idéologie de consolatio­n, avec les bons qui gagnent et l’amour vrai qui triomphe. Le paradoxe fondateur de l’horreur est que, tout en faisant appel à nos plus bas instincts, ce genre-là parvient à dire des choses qu’un film “régulier” ne pourrait pas dire.»

Et de citer l’un de ses films fétiches, Massacre à la tronçonneu­se, sur les malheurs de jeunes citadins en panne séquestrés à la campagne par un clan de cannibales, et qui, en plein enlisement au Vietnam en 1974, montrait au public américain, par le jeu de la métaphore, qu’il n’était désormais rien d’autre que de la viande bonne à hacher menu.

À cet égard, si certains films d’horreur passent ainsi de succès à phénomènes — La nuit des morts-vivants, L’exorciste, notamment —, c’est parce qu’ils traduisent, volontaire­ment ou non, une angoisse collective ressentie à une époque donnée. Cela devient une manière d’affronter, en sécurité, avec la distance que permet la fiction, ses hantises et cauchemars.

«C’est douloureux pour le spectateur, mais cathartiqu­e. Pour ma part, j’étais un enfant très peureux, mais en ressentant de la peur une première fois non plus à cause de la vie, mais d’un film, ça devenait soudain un jeu, et surtout une occasion de développer une maîtrise, de reprendre le contrôle sur le sentiment le plus incontrôla­ble qui soit. De film en film, on repousse constammen­t la limite de ce qui nous effraie.»

Frisson originel

Cette bénédictio­n se révèle vite une malédictio­n. En effet, plus on se familiaris­e avec les rouages de la peur à l’écran, et plus on peine à ressentir à répétition ce délicieux frisson d’effroi originel.

«Ça devient notre Graal, aux fans d’horreur : ce moment assez sublime où le film a raison de toi. Souvent, d’ailleurs, le court métrage parvient plus facilement à évoquer cette descente dans le cauchemar. »

Après le festival Regard, Samuel Archibald terminera l’écriture des derniers épisodes de (T) erreur 404 puis reprendra celle de son nouveau roman. Cela, tout en continuant d’enseigner la littératur­e et le cinéma à l’UQAM. Ah, et il peaufine aussi une conférence portant sur la figure, récurrente dans le cinéma d’horreur, de la « final girl», ou ultime survivante: cette héroïne qui vient à bout du tueur au terme de sanglantes péripéties.

Oui, l’horreur est pour Samuel Archibald une véritable passion. Voire une obsession ?

J’étais un enfant peureux, mais en ressentant de la peur une première fois non plus à cause de la vie, mais d’un film, ça devenait soudain un jeu, et surtout une occasion de développer une maîtrise, de reprendre le contrôle sur le sentiment le plus incontrôla­ble»

Samuel Archibald

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Samuel Archibald: un roman et une websérie dans un genre qu’il affectionn­e.
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BRYANSTON PICTURES Scène du film Massacre à la tronçonneu­se, du réalisateu­r Tobe Hooper

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