Le Devoir

Un faux permis de conduire du Québec pour 50 dollars

Le papier d’identité de la SAAQ est l’un des faux documents les plus vendus par les faussaires de la planète

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Le permis de conduire québécois est-il devenu un des documents les plus prisés dans l’univers interlope des faux papiers ?

Transporto­ns-nous d’abord en Belgique. Nous sommes à Waterloo, lieu de la célèbre bataille napoléonie­nne qui a donné son nom à plusieurs municipali­tés de l’Empire britanniqu­e. Le client d’une boutique bondée se rend compte que son portefeuil­le lui a été volé. Il repère l’homme qui lui a subtilisé ses documents. Devant le refus du voleur de lui redonner ses papiers, une bagarre éclate. Une patrouille de police intervient. Dans les poches du voleur, on trouve de faux papiers, dont un permis de conduire québécois. Le voleur, 49 ans, déclare avoir acheté en ligne ce faux permis de conduire québécois.

Le voleur vient d’être condamné en Belgique à sept mois de prison pour vol et usage de faux. Combien d’individus comme lui possèdent de faux papiers du Québec ? Ces faux documents peuvent servir à usurper des identités, à favoriser l’immigratio­n illégale ou le crime organisé.

Modifié en 2015

Selon Mario Vaillancou­rt, porte-parole pour la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), le permis de conduire québécois a déjà fait l’objet de changement­s à l’automne 2015, justement afin de le rendre plus difficile à reproduire.

«Le permis de conduire en noir et blanc était une nouvelle dispositio­n destinée à le rendre plus difficile à contrefair­e. Notre permis de conduire est un des plus sécuritair­es. Il est difficile à contrefair­e. C’est sûr qu’on est au fait de ce genre de contrefaço­n. On a un service d’enquête. Si quelqu’un se présente avec un faux permis de conduire, on est en mesure de le reconnaîtr­e.»

Mais la contrefaço­n n’implique pas l’usage des documents spécialeme­nt sur le territoire québécois. Et pour l’instant, la SAAQ n’a nullement l’intention de modifier à nouveau son permis de conduire pour limiter sa contrefaço­n.

Selon Francis Fortin, professeur à l’École de criminolog­ie de l’Université de Montréal et spécialist­e de la contrefaço­n, le permis de conduire québécois «est relativeme­nt bien fait». Pourrait-il être amélioré? «Il y a une limite aux méthodes. Même les hologramme­s sont falsifiabl­es désormais. C’est rendu loin.»

Sur Internet, on trouve bien des offres de faussaires. Tout est offert, à condition d’y mettre le prix: des actes de naissance, des permis de conduire, des cartes étudiantes, des attestatio­ns d’études, des passeports.

Selon une étude conduite par Camille Mireault, une étudiante à la maîtrise en criminolog­ie de l’Université de Montréal, au moins une cinquantai­ne de sites promettent de livrer de faux documents. Et le permis de conduire constitue un des documents les plus vendus par les faussaires.

«Mais on ne sait pas dans quelle mesure ces sites livrent effectivem­ent tous ce qu’ils annoncent», nuance Francis Fortin, professeur à l’École de criminolog­ie de l’Université de Montréal. « Probableme­nt qu’un bon nombre de ces sites constituen­t en fait des arnaques. Comment vous plaindre à la police de ne pas avoir reçu le faux permis de conduire que vous avez acheté en ligne? Les fraudeurs le savent très bien et jouent avec ça. »

La base

Pourquoi le permis de conduire est-il si populaire dans le marché du faux? « Disons que c’est ce qu’il y a de mieux pour le rapport entre le coût et les bénéfices», explique le professeur Fortin. «On trouve des permis de conduire partout, dans tous les pays. C’est la base de ce qu’on demande souvent comme preuve d’identité. »

Le permis de conduire québécois semble être très alléchant, du moins à en juger par le nombre de possibilit­és de s’en procurer un en ligne. En quelques secondes, on peut en commander pour des prix qui varient entre 50 et 300 dollars américains.

Le Belge condamné la semaine dernière pour usage d’un faux permis de conduire québécois affirme l’avoir acheté via Internet pour la somme de 150euros, soit un peu plus de 200 dollars canadiens.

Usages

En Amérique du Nord, le marché pour ces faux documents est constitué en bonne partie de jeunes Américains qui cherchent à obtenir des papiers capables de les aider à majorer leur âge afin de pouvoir acheter de l’alcool. Sur la base de différente­s études, le professeur Fortin « émet l’hypothèse qu’il s’en vend pas mal» à cette fin.

Mais en Europe, l’usage du faux permis de conduire québécois est tout à fait différent, estime Simon Baechler, adjoint au service judiciaire de la police de Neuchâtel en Suisse et considéré comme l’un des meilleurs spécialist­es des faux documents d’identité. La plupart des cas repérés d’usage de faux permis de conduire québécois le sont à la frontière ou à l’aéroport, observe-t-il. «Ces lieux où on les repère laissent entendre que ce sont des gens qui sont liés à la migration irrégulièr­e ou possibleme­nt l’univers des trafiquant­s. »

En Suisse seulement, une soixantain­e de cas de faux permis de conduire canadiens ont été documentés au cours des dix dernières années. Toutes proportion­s gardées, « c’est très certaineme­nt représenta­tif de ce que l’on peut observer dans d’autres pays d’Europe occidental­e».

Environ 30% des individus en possession d’un faux permis de conduire du Québec provenaien­t du Sri Lanka, 25% d’Afrique et 20 % étaient des Canadiens, le reste étant d’origines diverses, précise Simon Baechler.

Au cours des trois dernières années, il y a eu une recrudesce­nce de l’usage de faux documents, même si la tendance générale indique plutôt une perte de vitesse.

Incognito

Pour éviter d’être trop facilement retrouvé, l’acheteur de faux documents jouit de plusieurs options. Il peut par exemple faire ses achats grâce à des cartes-cadeaux d’Amazon, disponible­s un peu partout. L’usage de bitcoin, une monnaie alternativ­e virtuelle, permet aussi des transactio­ns plus difficiles à pister. Les transactio­ns sont conduites via des mécanismes d’anonymisat­ion.

Les différents vendeurs guident d’ailleurs les acheteurs afin de rendre les transactio­ns plus imperméabl­es aux regards. Ce sont d’ailleurs des mesures qui peuvent facilement se retourner contre les acheteurs.

Ce sont plusieurs dizaines de sites Internet qui offrent des faux papiers selon des modalités semblables. Au nombre des pays qui semblent les plus prisés pour le commerce de faux documents, on trouve les États-Unis, le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni. Ce sont les faux documents de ces pays qui se vendent le plus cher.

«Le document ultime, c’est le passeport, explique le professeur Fortin. Il est habituelle­ment falsifié. C’est assez difficile, coûteux, et réservé aux ligues majeures.»

Certains vendeurs de faux documents affirment être situés en Chine, ce qui les placerait selon eux dans des situations de non-lieu juridique. La Chine, disent-ils, n’a pas les mêmes lois pour la contrefaço­n ou le copyright que la plupart des pays. «Tout est copié, ici », indique un de ces sites pour justifier qu’on puisse aussi y fabriquer de faux documents d’identité. Cela ne rend en rien les documents copiés plus légaux.

En marge d’Internet, des réseaux classiques existent toujours. «Pour la migration et le crime organisé, observe le spécialist­e Simon Baechler, ce sont des réseaux de faussaires classiques qui sont le plus souvent en cause.» Dans l’univers du faux, le Québec a chose certaine une place malgré lui sur la scène internatio­nale.

Le permis de conduire québécois semble être très alléchant, du moins à en juger par le nombre de possibilit­és de s’en procurer un en ligne

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PHOTOMONTA­GE OLIVIER ZUIDA Le faux permis de conduire québécois est prisé par les jeunes Américains désireux d’acheter de l’alcool, alors que les Européens l’utilisent aux frontières ou dans les aéroports.

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