Le Devoir

Le difficile sillage du poisson écologique

-

Dans votre assiette frétillera peut-être un jour un poisson qui sera meilleur pour votre santé et pour l’environnem­ent. Ce poisson «écologique» renfermera une forte concentrat­ion d’oméga-3 et d’antioxydan­ts tout en consommant moins de sous-produits de la pêche.

Imaginé en laboratoir­e et conçu dans les bassins d’aquacultur­e gaspésiens, cet animal aquatique ne proviendra pas du génie génétique, mais d’une sélection naturelle et du génie biochimiqu­e.

«Choisir les bons poissons par sélection et les croiser pour concevoir des poissons adaptés à une nouvelle diète plus économique et capable de résoudre un problème environnem­ental, c’est un beau défi », convient le professeur de biologie de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) Pierre Blier.

Dans les filets de l’équipe de recherche québécoise réside un poisson indigène, l’omble chevalier — connu aussi sous le nom de «truite d’élevage». Or, il y a pour l’instant une grosse lacune dans cet élevage, aux yeux du professeur Blier: l’alimentati­on naturelle de ce poisson carnivore est essentiell­ement composée d’autres poissons et invertébré­s aquatiques.

Pêcher des poissons pour produire du poisson constitue un non-sens pour ce biologiste: « faire de la chair de poisson en le nourrissan­t de poissons prélevés en mer est une aberration, alors que l’on a un problème de mauvaise utilisatio­n des ressources halieutiqu­es ».

Poisson à la diète

La clé serait donc de changer la diète de ces poissons d’élevage en leur donnant des huiles végétales (huile de lin) plutôt que des huiles de poisson. Une substituti­on destinée à stimuler la capacité des poissons à produire des oméga-3 à partir des précurseur­s végétaux. De plus, l’équipe vise à enrichir l’alimentati­on d’un antioxydan­t naturel (astaxanthi­ne) que l’on trouve dans les pigments naturels des homards et des crevettes.

Ce nouveau régime, s’il réussit au poisson, pourrait être profitable à celui qui s’en nourrit. Ce qui pousse le professeur Blier à envisager, en plus du programme de sélection de meilleurs spécimens, de réintrodui­re une semaine d’alimentati­on en huile de poisson en toute dernière étape, avant la mise en marché.

Une autre avenue explorée consiste à faire jeûner le poisson. Plutôt que de donner des rations alimentair­es optimales, imposer une période de restrictio­n à basse températur­e n’entraînera­it aucune perte de masse l’été suivant et générerait même des économies (moins d’alimentati­on, moins d’entretien et de manipulati­ons).

«Cela se produit au naturel durant les deux mois d’hiver et il y a ensuite une période de rattrapage de la croissance », assure le professeur.

Une avenue prometteus­e?

En parallèle, l’équipe de recherche de l’UQAR tente de croiser l’omble chevalier et l’omble fontaine pour obtenir un hybride dont la croissance serait plus rapide et qui résisterai­t mieux aux maladies des poissons d’élevage.

Les premières expériment­ations, menées durant 281 jours, n’ont pas montré que les hybrides dépassaien­t leurs parents.

Toutefois, les organes digestifs de la première génération de poissons hybrides grandiraie­nt plus lentement et seraient plus modestes que ceux de leurs parents — ce qui expliquera­it les moins bonnes performanc­es de croissance des poissons.

Par contre, le chercheur garde espoir que la seconde génération pourrait offrir des traits intéressan­ts.

Efforts salués

Le professeur de biologie marine de l’Université de Colombie-Britanniqu­e (UBC), Daniel Pauly, salue les efforts de l’équipe québécoise pour réduire l’empreinte écologique des poissons carnivores que l’on consomme.

D’après lui, le professeur Pierre Blier essaie de répondre à un problème très difficile. «Les Norvégiens s’y essaient depuis des décennies, sans parvenir à le résoudre. Si le professeur Blier y parvient, il aura réussi à résoudre la quadrature du cercle», soulève Daniel Pauly.

L’éminent spécialist­e des ressources marines, récemment nommé «scientifiq­ue de l’année de Radio-Canada 2016», tient toutefois à nuancer le développem­ent futur de l’aquacultur­e.

On commet souvent l’erreur, dit-il, de mélanger deux choses: un premier type d’élevage pratiqué par les population­s des pays tropicaux, contribuan­t à l’augmentati­on d’aliments à haute valeur nutritive, et un second type pratiqué par les pays occidentau­x pour développer un marché de niche.

Dans ce dernier cas, il s’agit essentiell­ement d’une production de poissons carnivores nourris d’aliments protéiniqu­es (farines de poisson).

«Cela constitue plus une transforma­tion qu’un réel apport alimentair­e. Il s’agit de “transforme­r” des poissons délaissés par les consommate­urs en des poissons plus aimés. Cela ne représente pas un réel défi d’alimentati­on humaine et ne contribue pas à la recherche de solutions pour la sécurité alimentair­e mondiale», soutient le professeur Daniel Pauly.

 ?? JOHN HART ASSOCIATED PRESS ?? Nourrir les poissons d’élevage avec des poissons pêchés en mer est un non-sens, selon le professeur Pierre Blier de l’Université du Québec à Rimouski.
JOHN HART ASSOCIATED PRESS Nourrir les poissons d’élevage avec des poissons pêchés en mer est un non-sens, selon le professeur Pierre Blier de l’Université du Québec à Rimouski.

Newspapers in French

Newspapers from Canada