Le Devoir

Immigratio­n : les Torontois sont-ils plus inclusifs que les Québécois ?

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ANNIK CHALIFOUR Professeur­e et chroniqueu­se, Toronto

Lors du Téléjourna­l de lundi dernier, 13 mars, Céline Galipeau présentait les résultats du sondage réalisé par la firme CROP pour le compte d’ICI Radio-Canada révélant la compassion de Québécois envers la communauté musulmane, mais aussi certaines perception­s négatives.

Environ 80% des Québécois sondés par CROP ont affirmé avoir ressenti une plus grande compassion envers la communauté musulmane et être plus nuancés sur la question des différence­s religieuse­s à la suite de l’attentat du 29 janvier.

Toutefois, d’autres résultats du sondage portent à la réflexion. Les deux tiers des 1024 Québécois sondés par CROP estiment que les accommodem­ents religieux demandés par les musulmans démontrent qu’ils ne veulent pas vraiment s’intégrer; plus de 50% des Québécois sondés sont d’avis que cela ne les dérangerai­t pas que des événements comme le récent attentat à Québec découragen­t des musulmans à immigrer ici.

L’analyste politique Tasha Kheiriddin, interviewé­e par Céline Galipeau, affirmait que les Torontois sont plus tolérants à l’égard du multicultu­ralisme, «parce que les gens de la métropole canadienne sont habitués à côtoyer les voiles, turbans, kirpans, etc. ». Mais cela signifie-t-il pour autant que Toronto soit plus inclusif ?

Par ailleurs, selon le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, « il est normal que les Québécois soient plus réticents vis-à-vis de l’immigratio­n puisque notre société est homogène depuis très longtemps ».

Inclusion utopique

Il semble que ni Mme Kheiriddin ni M. Couillard n’aient compris que, tant et aussi longtemps que les nouveaux immigrants ne feront pas partie intégrante de notre vie sociopolit­ique, notre vénérable multicultu­ralisme canadien se référant à la valeur de l’inclusion demeurera utopique.

Certes, la démographi­e torontoise a radicaleme­nt changé au cours des dernières décennies. Toutefois, l’inclusion sociale et politique de milliers de nouveaux immigrants pose un immense et réel défi.

À Toronto, nombre de femmes voilées (voile intégral) originaire­s de la Somalie, du Pakistan et de l’Afghanista­n restent confinées dans leurs logis surpeuplés (secteurs Regent Park, East York) tandis que des milliers d’autres immigrants survivent dans des conditions lamentable­s.

Cantonnés entre eux dans leurs quartiers isolés, ces nouveaux immigrants vivent en marge de notre société, dépendant de notre générosité tout en parrainant des conjoints imposés. Leurs familles se multiplien­t en sol canadien, déconnecté­es de notre démocratie.

La vérité: nous faisons face à un faux multicultu­ralisme, sans vision. Pourquoi? Parce que des milliers de nouveaux immigrants, par exemple à Toronto, ne comprennen­t pas ni ne vivent notre concept de la participat­ion citoyenne.

Et, de son côté, comment Québec ferat-elle face au multicultu­ralisme incontourn­able? Il faudra davantage que des marches de paix et des motions pour contrer l’islamophob­ie et des sondages…

Il faudra avoir le courage politique de redéfinir notre société, qui nous sommes, ce que nous voulons être, en Ontario comme au Québec, et ailleurs au pays. Avoir le courage de vivre et de refléter nos valeurs en fonction de notre démocratie moderne, nord-américaine, occidental­e. Cela ne nous amène pas à imiter le discours xénophobe de Marine Le Pen : «Si vous voulez vivre comme chez vous, retournez chez vous», mais à repréciser les intentions de nos lois et à les faire comprendre aux nouveaux immigrants.

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