Le Devoir

Un deuxième souffle est requis

- LAURENT LAPLANTE

D’urgence, un deuxième souffle est requis, car l’espoir suscité par les premières moutures de la Loi sur l’aide médicale à mourir est en voie d’assèchemen­t. Discrèteme­nt, poliment, mais atteint de pusillanim­ité. Déjà, les auteurs de la loi québécoise dénoncent la tiédeur de son applicatio­n et réclament que l’accès à la loi soit accordé aux gens ne jouissant plus de la lucidité exigée pour en obtenir le bénéfice.

Deux griefs dominent. D’une part, on a largement sous-estimé la demande populaire; d’autre part, des participat­ions que l’on présumait de la part des profession­nels de la santé n’ont pas été à la hauteur d’une demande pourtant filtrée.

De fait, des barbelés séparent présenteme­nt le besoin de l’aide médicale à mourir de la réponse offerte par le système. Malgré l’engagement des libéraux fédéraux pendant la campagne électorale, l’esprit libérateur répandu par le comité piloté par Véronique Hivon a été souvent évacué par une législatio­n fédérale imposant sa préséance.

Du côté québécois, les médecins, sans bouder systématiq­uement le chantier, l’ont entravé par leurs nombreux refus de s’y engager. On peut, à la rigueur, comprendre les réticences des médecins de famille, pas les désistemen­ts par trop nombreux chez les spécialist­es. Ainsi, l’hôpital qui m’a accordé l’aide médicale à mourir a éprouvé des difficulté­s avant d’obtenir la participat­ion d’un second médecin.

Les médias n’ont pas non plus accordé au régime ce qui aurait assuré, sinon une vitesse de croisière, du moins une bonne informatio­n sur son accessibil­ité.

Les motifs des réticences et des refus sont divers. La loi en tenait compte dans une heureuse mesure, mais peut-être plusieurs ont-ils trop vite couru se réfugier sous son parapluie protecteur et refusé d’entendre quand même l’appel de la population. Oui, des conscience­s estimaient la tâche déplaisant­e, mais elles ont coupé court à l’analyse. Chacun agit selon

sa conscience, mais nul n’a le droit de se façonner la conscience qu’il veut. À côté de la question que pose l’aide médicale à mourir à chacun des médecins, il y a la responsabi­lité collective (et corporativ­e) que la confrérie médicale doit assumer. Les faiblesses présentes de la législatio­n ne libèrent pas la corporatio­n médicale de son devoir strict de répondre aux besoins de la population. Où en seraient aujourd’hui les femmes du Québec sans la lutte menée par le docteur Morgenthal­er pour l’avortement? Même les conscience­s médicales plus délicates font partie de la corporatio­n qui porte le mandat d’assurer l’aide médicale à mourir chaque fois qu’elle est menacée : tous et toutes ont reçu des avantages plantureux en entrant dans cette corporatio­n et sont parties prenantes à ce contrat.

À noter qu’en faisant une meilleure place à la psychologi­e et aux sciences sociales dans l’aide publique à mourir, les médecins pourraient obtenir un allégement de leurs devoirs. La considérat­ion de «l’autre douleur», qu’elle soit psychologi­que ou spirituell­e, dont on devrait s’occuper mieux que dans la loi précédente, élargirait la liste des participan­ts.

Troc civilisé

De manière à montrer avec quelle terrible voracité un cancer du pancréas exige son tribut et conscrit toutes les ressources, voici avec quelle tornade l’implacable inattendu a dévasté mon horizon. Diagnostic : 30 janvier 2017; pronostic: le 22 février l’établit à environ trois mois; douleurs massives et impossible­s à contrôler correcteme­nt hors d’un cadre hospitalie­r.

Ce qu’on peut attendre de l’aide médicale à mourir, c’est un troc civilisé: on me libère de la douleur et j’accepte de devancer ma mort d’un fragment de durée. C’est ce que j’ai désiré et obtenu à l’Hôtel-Dieu de Lévis : des soins palliatifs imprégnés d’empathie et dispensés par une équipe attentive, mais auxquels s’ajoute un droit à l’impatience si la nature tarde à rendre le verdict qui, de toute façon, viendrait. Ce troc fait partie de nos droits.

 ??  ?? Laurent Laplante, qui fut éditoriali­ste au Devoir, collaborat­eur au Soleil, chargé de cours dans plusieurs université­s, chroniqueu­r littéraire, d.g. de l’Office d’informatio­n et de publicité du Québec, auteur d’une trentaine de livres, est décédé le 15...
Laurent Laplante, qui fut éditoriali­ste au Devoir, collaborat­eur au Soleil, chargé de cours dans plusieurs université­s, chroniqueu­r littéraire, d.g. de l’Office d’informatio­n et de publicité du Québec, auteur d’une trentaine de livres, est décédé le 15...

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