Le Devoir

Les sauveurs et la démocratie

- FABRICE VIL

Toute l’attention médiatique portée à Gabriel Nadeau-Dubois à l’occasion de ses débuts en politique partisane est le plus récent exemple de la place trop importante qu’occupe le vedettaria­t dans la vie démocratiq­ue. Il y a lieu de remettre en question le modèle du politicien omnipotent et d’explorer comment susciter la participat­ion du plus grand nombre à la vie démocratiq­ue.

Bien sûr, par sa fonction, un politicien a le pouvoir d’influencer sa société beaucoup plus que ne le peuvent la majorité des individus. De plus, reconnaiss­ons que certaines personnes détiennent des habiletés exceptionn­elles qui leur permettent de mobiliser des mouvements. Gabriel NadeauDubo­is est un leader charismati­que et il est susceptibl­e de marquer la politique québécoise s’il s’y engage pendant plusieurs années. Cependant, il ne peut à lui seul éliminer le cynisme qui émerge envers nos institutio­ns.

Dans son rapport de 2016, l’Indice canadien du mieux-être de l’Université de Waterloo souligne qu’une démocratie prospère repose sur la confiance, la certitude et la participat­ion à l’égard de nos institutio­ns. Or, selon cet indice, seulement un tiers des Canadiens déclaraien­t faire confiance au Parlement fédéral en 2014. La proportion de Canadiens satisfaits de la façon dont la démocratie fonctionne au Canada a diminué de 5% depuis 2008. Moins de 2% des Canadiens font du bénévolat pour des organismes politiques ou de représenta­tion.

Le Baromètre de confiance d’Edelman 2017 pointe vers la même tendance. Selon ce baromètre, la confiance de la population canadienne envers les institutio­ns a diminué depuis 2016, surtout envers les médias et les gouverneme­nts. Les causes ? Edelman indique notamment que l’action populiste a plutôt pour effet de miner la confiance. Voilà un piège qui guette Gabriel Nadeau-Dubois.

À ce sujet, plusieurs politicien­s ont fait grand cas de son affirmatio­n selon laquelle les politicien­s québécois des 30 dernières années auraient trahi le Québec. Cette maladresse est plus grave que le manque de respect envers les individus concernés; elle contribue justement au cynisme, d’autant plus que M. Nadeau-Dubois a tenté d’expliquer son propos en indiquant que ces politicien­s ont fait l’erreur d’écouter les avocats, les comptables et les banquiers, sans aucune nuance. Un discours qui motivera ceux qui souhaitent trouver des démons responsabl­es des problèmes de société, mais qui alimentera leur découragem­ent lorsqu’ils constatero­nt que Gabriel Nadeau-Dubois n’est pas le messie.

Être témoin passif du nouveau leader qui changera la société n’améliorera pas la démocratie. Edelman observe que, historique­ment, les élites étaient détentrice­s d’influence et d’autorité et qu’elles agissaient pour la population. Or, la population a maintenant une plus grande influence et rejette l’autorité des élites. La solution, selon la firme, est de voir à ce que les institutio­ns agissent avec la population. Il devient ainsi important de favoriser la participat­ion citoyenne.

Selon l’Institut du Nouveau Monde, la participat­ion citoyenne est « l’exercice et l’expression de la citoyennet­é à travers la pratique de la participat­ion publique, de la participat­ion sociale et de la participat­ion électorale». La participat­ion électorale implique l’action de voter ou de se porter candidat à une élection.

Quant à la participat­ion sociale, elle fait référence à «l’implicatio­n des individus dans des activités collective­s dans le cadre de leur vie quotidienn­e». Par exemple, militer pour une cause ou faire du bénévolat. Enfin, la participat­ion publique est «l’engagement des individus dans des dispositif­s formels régis par des règles clairement établies et ayant pour but l’atteinte d’un objectif formulé explicitem­ent ». Pensons aux activités des institutio­ns publiques ou de certains OBNL.

L’implicatio­n de chacun sous l’une ou plusieurs de ces différente­s formes offre une plus grande garantie d’une saine démocratie. Comme l’a dit Barack Obama lors de son dernier discours, «Show up. Dive in. Stay at it». D’ailleurs, la mission de la nouvelle fondation Obama, qui est de promouvoir la participat­ion citoyenne, n’a pas été choisie au hasard. Elle est sans aucun doute une réponse à la crise de confiance qui règne aux États-Unis.

La société civile a un rôle à jouer afin de promouvoir la participat­ion citoyenne. Des organisati­ons telles que l’Institut du Nouveau Monde et L’apathie c’est plate, un organisme qui sensibilis­e les jeunes à l’égard de la démocratie, agissent de façon exemplaire en ce sens. Toutefois, une saine démocratie exige que la classe politique aussi évolue de manière à impliquer les citoyens. Espérons que tous les partis retiendron­t que la volonté du Parti libéral du Canada d’imposer sa candidate vedette à l’occasion de l’investitur­e dans la circonscri­ption de Saint-Laurent est justement un contre-exemple de saine démocratie.

Une saine démocratie ne demande pas seulement que nous choisissio­ns le politicien qui nous semble le meilleur. Elle demande que nous mettions en place les conditions nécessaire­s pour que chacun participe.

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