Un beau rendez-vous jeannois et saguenéen à Québec Là Là
La gastronomie jeannoise et saguenéenne
Restaurant Là Là ★★★★ $$$1/2 (incluant l’alcool)
Une sorte de retour aux sources pour votre critique resto ce mois-ci. Comme j’ai grandi à Dolbeau, puis fait mes études à Jonquière et à Chicoutimi (vous me pardonnerez l’emploi nostalgique des anciens noms: c’était avant les fusions municipales), on peut dire que ma culture gourmande s’est forgée à l’aune du légendaire bleuet. J’anticipe donc beaucoup ma visite au restaurant Là Là, qui se targue de réinventer les canons de la gastronomie du Saguenay–Lac-Saint-Jean !
Aux abords du Piekouagami
Dès l’arrivée, je suis charmée par le décor où, sous des dehors de simplicité et de rusticité, rien n’a été laissé au hasard. L’idée sous-jacente? Évoquer l’époque de la colonisation et du développement de la région.
Dans cet écrin de bois et de pierre, les accessoires, ustensiles et pièces de mobilier qui n’ont pas été trouvés chez les antiquaires ont été spécialement confectionnés par des artisans et des ébénistes.
Mon invité, encore sous l’emprise des vents glacés de cette fin d’hiver, a choisi la soupe à l’oignon.
Le riche bouillon aromatisé à la bière brune Gros Mollet, de la Microbrasserie du Lac-Saint-Jean, accueille quelques croûtons généreusement gratinés de cheddar Perron.
Cette fromagerie, qui existe depuis 1890, est d’ailleurs l’une des doyennes au Québec. La synergie gustative est ici parfaite.
Il y a des années que je n’ai pas eu la chance de manger du doré, alors je me réjouis de le trouver au menu. Il est préparé sous forme de goujonnettes en panure à la bière, avec un concassé de tomates et une mayonnaise à l’ail noir.
Des câpres, des quartiers de citron et des échalotes ciselées complètent l’assiette.
Je suis partagée car, si le résultat est indéniablement réussi, on perd un peu, hélas, la saveur délicate du poisson dont j’avais tant envie. L’assiette de saumon fumé aromatisé à l’érable, choisie par l’une des convives de notre tablée, s’avère plus réussie à ce chapitre.
Si la viniculture régionale est encore un peu jeune pour proposer des vins intéressants, la brasserie est bien représentée avec les produits, entre autres, de la Tour à Bières et de la Chouape.
Après délibération, nous optons néanmoins pour un vin toscan, un Montepulciano de Poliziano, afin d’accompagner le repas.
Grosse pêche, petite chasse
En foulant le territoire en 1838, les membres de la Société des vingt-et-un ont sans doute perçu tout son potentiel. Pour ces colons qui arrivaient de La Malbaie, il ne faisait pas de doute que la qualité des sols ainsi que le gibier local, déjà bien connus de la nation innue, seraient une bénédiction.
Et, n’en déplaise à certains, c’est sûrement à ce moment-là qu’est née la recette de la vraie tourtière.
Dans une jolie assiette de grès (la vaisselle aux allures rustiques a été fabriquée par une céramiste), ma part de tourtière répand généreusement son appétissante odeur.
La croûte épaisse, un brin salée et dorée à point, ne parvient à contenir l’appareil de viandes mélangées et de cubes de pommes de terre, cuit avec amour pendant des heures. (J’écris ces lignes plusieurs jours après et j’en salive encore, c’est dire.)
Heureuse idée, on a décidé d’assumer pleinement le côté «cuisine familiale» en flanquant ladite tourtière d’une part de salade laitue-radis-échalotes à la crème, de petites betteraves marinées et de ketchup aux fruits, ce qui convient assurément le mieux à ce plat emblématique de la région.
Dave se régale de son assiette du chasseur: on a ici un remarquable plat de lièvre et de mini-côtelettes de marcassin, où la finesse des viandes est mise en valeur par un jus camerises-bleuets sauvages dont l’équilibre salé-acidulé est parfait.
Morilles et topinambours rehaussent encore le côté résolument forestier de l’assiette. Je ne jalouse pas trop mon voisin, mais quand même un peu.
«À cause» tu ne veux pas te sucrer le bec?
J’ai beaucoup de respect pour les cartes comportant une sélection restreinte mais parfaitement maîtrisée de mets, de l’entrée au dessert. Le quatuor de péchés mignons proposé en finale me fait bien envie, mais la tourtière a fait son oeuvre et je ne puis avaler une bouchée de plus.
Mon comparse se dévoue pour essayer le gâteau aux carottes (après le lièvre du repas, c’est cohérent), un choix dont il se félicite. On lui apporte deux petites tranches de gâteau côtoyées de fins monticules de chocolat blanc et fromage à la crème et de quelques belles mûres.
Encore ici, un mariage réussi entre gastronomie et rusticité. Voilà qui conclut plus qu’honorablement ce voyage gustatif au pays des Bleuets.
Les plus. L’équilibre entre l’authenticité et l’audace gastronomique est atteint: on joue la carte du régionalisme en évitant l’excès, ce qui donne des plats chaleureux dans un cadre qui l’est tout autant. Service affable, juste ce qu’il faut « grand talent ».
Les moins. J’aurais aimé une carte des alcools et cocktails encore plus au diapason de cette fierté régionale, avec des kirs à la liqueur de bleuets, par exemple. Aussi, le chocolat des pères Trappistes est un des grands absents. Quand ces lacunes seront comblées, on s’en reparlera.
Coût du repas pour deux, sans alcool, avant taxes :
104$. Coût du repas pour deux, incluant alcool, taxes et service: 184$.