Le Devoir

Michel Robidoux : la joie d’être là

À 73 ans, un premier album à son nom : l’usufruit d’une vie au service des artistes

- SYLVAIN CORMIER

«C«Écoute, pour cet album-là, j’ai signé mon premier contrat d’artiste ! [...] Ça me fait drôle. Depuis l’âge de 19 ans que je suis caché dans le décor !

Michel Robidoux

ent ans, c’est long, hein Robidoux ? […] Sans se plaiiiiiii­indre!» improvise Robert Charlebois sur le groove d’Engagement. C’est la première fois que j’ai entendu son nom. Robidoux. J’avais la chanson sur une compilatio­n, parue chez Gamma. Je ne savais pas alors que Robidoux avait été de l’aventure de L’Osstidcho, avec Charlebois, Louise Forestier, Mouffe, Yvon Deschamps et le Jazz libre du Québec, et qu’il y avait cette chanson dans le show. C’était un personnage, pour moi, ce Robidoux, peut-être inventé par Charlebois.

Et puis, mes années 1970 avançant et ma collection de disques grossissan­t, j’ai revu son nom dans les pochettes, avec un prénom devant: Michel Robidoux. Guitariste. Compositeu­r. Dans des albums de Renée Claude, en tandem avec Luc Plamondon. Dans le Jaune de Ferland, où il cosigne huit des onze titres: Le petit roi, Quand on aime on a toujours vingt ans, Le chat du café des artistes… J’ai peu à peu compris que, non seulement Robidoux existait bel et bien, mais qu’il était partout. Là il arrange, ailleurs il réalise. Et compose. Et joue de la guitare. C’est le Robidoux qui collabore avec Leonard Cohen, au temps d’I’m Your Man. Tiens, encore des musiques à lui, sur ces albums de Passe-Partout. Tout le temps là, Robidoux.

Beau monde, beau monsieur

Et encore là. Plus que jamais là, puisque paraît pour la première fois un album à son nom : le bien nommé Robidoux premier. Avec son bon visage souriant à pleine pochette, avec un nuage de couleurs psychédéli­ques lui sortant de l’oreille gauche. «C’est pas croyable, hein? s’émer veille-t-il, candide. Vivre ça à 73 ans, après 53 ans de carrière et d’aventures…» Si engageant soit ce sourire, pas sûr que le grand public l’identifie sans la fabuleuse feuille de route. Pas sûr qu’en dehors des férus de chanson québécoise, on s’intéresse à lui: c’est bien pour ça qu’il y a un autocollan­t sur la cellophane, et la liste des interprète­s qui sont autour de Robidoux pour chanter du Robidoux: Pierre Lapointe, Alex Nevsky, Bïa, Catherine Major, Ariane Moffatt, Pierre Flynn, Daniel Bélanger, MarieNoëll­e Claveau.

Réalisatio­n de Philippe Brault. Du beau monde pour un beau monsieur. « Écoute, pour cet album-là, j’ai signé mon premier contrat d’artiste!» Il sourit comme un gamin le matin de Noël. «Ça me fait drôle. Depuis l’âge de 19 ans que je suis caché dans le décor ! À la Boîte à Clémence en 1967, quand Robert [Charlebois], Mouffe et Jean-Guy [Moreau] faisaient Terre des bums, j’étais littéralem­ent caché derrière le piano. Y avait pas de place sur scène ! »

Le partage

Il faut être de nature généreuse, un gentil, un doux homme, pour ainsi vivre une vie au service de la musique et des grands noms de la chanson. Comme si c’était son destin, depuis sa naissance: fils de Fernand Robidoux, grand chanteur de charme des années 1940 et 1950, Michel a grandi tout naturellem­ent dans l’ombre. «Ce n’est pas tellement de l’humilité, dans mon cas. J’ai toujours été bien dans ce rôle. Si je dois résumer ma vie et ma carrière, c’est le partage.»

«En fait, continue-t-il, c’est le plaisir d’être là. Being there. J’ai eu plein de coups de marteau et plein de caresses, mais j’ai été là. J’ai savouré tous ces moments qui m’arrivaient du ciel. Les gros frissons. La surprise dans L’Osstidcho meurt,à la salle Wilfrid-Pelletier: Yvon qui sort son sifflet de police, siffle, et les majorettes de Longueuil qui entrent et cassent en joual l’Ô Canada… Moi, je suis dans notre échafaudag­e et je pleure ! »

Son regard s’embue: il revit le moment. «Être en studio avec Cohen, imagine ! On avait fini les arrangemen­ts, je lui demande : “Est-ce que ça te dérange que je sois avec toi ce soir pour les voice over ?” Il me regarde et dit: “Quoi?” Je répète: “J’aimerais ça être avec toi…” Il n’en revient pas, il faisait toujours ses voix tout seul avec son ingénieur de son. “Tu es le premier musicien que ça intéressse!” Le premier! Les autres devaient être trop gênés. Moi, je voulais être là. »

Dans presque toutes les sessions pour Robidoux premier, il est là. Harmonie et guitare dans Je rêve à Rio, chantée par Bïa en vraie de vraie bossa (et non en samba, comme dans la version de Charlebois). En duo avec Daniel Bélanger pour la magnifique Je ne par tirai pas. À la guitare pour Ce soir je fais l’amour avec toi (que l’on croirait faite pour Catherine Major), La bagomane (que s’approprie Ariane Moffatt). Tout seul, il chante Le dernier chemin, pour JeanGuy Moreau, son ami disparu. «Je ne suis pas un chanteur, insiste-t-il. Daniel Bélanger, ça c’est un chanteur. J’ai toujours connu mes forces. Moi, toute ma vie j’ai été l’accompagna­teur fiable. Celui qui fumait pas, qui buvait pas avant la fin de l’enregistre­ment ou la fin du show. J’ai toujours été solide. Et toujours à l’écoute. Toujours présent.» La perspectiv­e d’un spectacle avec tous ces interprète­s le fait frétiller de joie. « Je vais être sur la scène tout le long…»

ROBIDOUX PREMIER ★★★★ Michel Robidoux et invités Audiogram

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR «Moi, toute ma vie j’ai été l’accompagna­teur fiable», relate Michel Robidoux.
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