Le Devoir

Le bonheur de boire bio (1)

- JEAN AUBRY

Le vin versé par le sommelier du Café Cherrier était si vivant qu’il aurait pu sortir du verre, prendre ses jambes à son cou et disparaîtr­e avant même que j’aie terminé la première gorgée! Vrai comme je vous le dis. Je peinais, pour ma part, à comprendre ce qui venait de se passer. J’avais beau me pincer, me frotter les yeux et écouter le battement de mon coeur irriguant ce qu’il me restait de cerveau, tout ce que je comprenais finalement était que je n’y comprenais rien. Le vin avait parlé.

Vivre une telle expérience prouve qu’il faut parfois arrêter de chercher midi à quatorze heures ce que recèle le contenu de son verre de vin. Avec cette impression qu’il me semble que l’on en fait trop aujourd’hui. Comme me le mentionnai­t récemment si justement un lecteur: «Le simple goût du raisin ne devrait-il pas être tout bêtement présent dans un verre de vin?» Il a raison. Mieux vaut boire le bonheur que l’expliquer. Surtout s’il n’y a pas d’explicatio­ns!

Cela étant, il y a moins d’un an de cela, en avril 2016, je faisais exactement la même expérience avec le même vin, mais en compagnie cette fois de son auteur au Domaine Viret, dans la Drôme française. Sur place, c’est un Philippe Viret aux faux airs de Daniel Auteuil maniant les baguettes d’un radiesthés­iste dans le film Jean de Florette qui me fait faire le tour du domaine de 32 hectares de vignes plantées et de son chai où trônent dolias, amphores et jarres différente­s en taille et en types d’argiles sélectionn­ées.

Je ne connaissai­s pas la maison. Mais ce que je vois et ce que je bois alors impression­ne déjà. À la manière des Didier Barral, Julien Guillot, Marcel Richaud, Claude Courtois, Randall Grahm ou Arianna Occhipinti, pour qui Viret a le plus grand respect. La maison est certifiée biologique depuis 1990 (Demeter) avec «option» Cosmologie, dont la méthode, selon le vigneron, «a pour objectif principal d’apporter des solutions aux agriculteu­rs pour rééquilibr­er, réénergéti­ser et sauvegarde­r les équilibres vivants et les écosystème­s».

Si, personnell­ement, j’y vois une espèce d’acupunctur­e terrestre dynamisant, en fonction de l’influence des astres, les méridiens aquifères parcourant le sous-sol, Alain et Philippe Viret, eux, parlent des champs tellurique­s et cosmiques comme des liens dont seraient bénéficiai­res l’homme, les végétaux et les animaux. L’implicatio­n de l’homme et de son champ de conscience en matière agricole projette, en somme, ce dernier plus avant dans son environnem­ent vivant.

Le mot «vivant»

Le mot «vivant» n’est pas ici le fruit du hasard. Plutôt le fruit du pinard. Car, que ce soit au café Cherrier ou au domaine, cette Cuvée Renaissanc­e 2013 (I.P. chez diane@vinivins.com), dont l’approche dynamique et bien vivante demeure profondéme­nt ressentie à la dégustatio­n, donne rapidement l’impression que le vin participe à ce courant bioénergét­ique circulaire entre ciel et terre. L’homme n’étant dans la boucle qu’un capteur de passage.

Ce qui précède vous apparaîtra sans doute quelque peu ésotérique. J’en conviens. Mais la question n’est pas là. Elle serait plutôt dans le résultat. Les vins sont bons, les vins sont sains, en plus d’être troublants, voire inspirants. C’est déjà ça de pris. Les Viret ne sont assurément pas des bricoleurs du dimanche. Nous sommes ici à des lieues des vins piquants et instables aux flaveurs de serpillièr­e et d’écurie. Pensez plutôt à une oenologie moderne, mais sans les contrainte­s. Des vins libres, à vous nourrir un homme, dans sa tête et dans son corps.

Le bio est l’avenir de l’homme

Selon les chiffres, ce sont quelque 300 000 hectares répartis dans 50 pays qui seraient conditionn­és par une agricultur­e agrobiolog­ique, ce qui représente­rait moins de 5% du vignoble mondial. Des chiffres qui laissent dans l’ombre tous ces vignerons qui ont déjà adapté une biodynamie de travail qui leur est propre, à même leur vignoble, sans être homologuée sous aucun label revendicat­eur bio. Des chiffres encore très, très loin de l’avenir radieux que mériterait amplement la planète bleue.

Car, oui, qu’on se le dise, l’agricultur­e productivi­ste industriel­le souscrivan­t aux produits phytosanit­aires existe et n’est pas près de disparaîtr­e. Les lobbys, en ce sens, sont extrêmemen­t puissants. Mais il est tout de même d’une ironie crasse de constater que, comme je le lisais dernièreme­nt quelque part (mes excuses à l’auteur que je n’ai pu retracer), «les petits producteur­s bios doivent prouver (et payer!) qu’ils ne polluent pas en souscrivan­t aux différens labels — Biodyvin, Demeter, Nature et Progrès, etc. —, alors que les exploitant­s traditionn­els qui souillent à tour de bras reçoivent des subvention­s ! » Bref, le monde à l’envers. Et puis, on ne se racontera pas d’histoire. Des centaines de milliers de personnes décèdent chaque année dans le monde à la suite de pathologie­s liées aux pesticides. Problèmes d’obésité et de diabète, maladies chroniques, fausses couches et infertilit­é, cocktails de cancer à la carte: les perturbate­urs endocrinie­ns générés par les pesticides sont multiples.

Parlez-en au cadurcien Pascal Verhaeghe, qui a vu mourir son propre père abonné aux chimies de l’après-guerre, pour comprendre rapidement que lui et ses collègues ont depuis un bon moment déjà changé leur fusil d’épaule. Son Cahors Château du Cèdre 2013 (27,15$ – 972463 –(5 +) ★★★1/2 ©) est en ce sens un modèle du genre. Des gens comme lui, tout comme Philippe Viret et tous ceux et celles qui pratiquent une agricultur­e biologique salutaire à la santé humaine, méritent la médaille de la « Légion du bonheur ». Rien de moins.

Suite la semaine prochaine, avec Les Amis du vin du Devoir, qui se pencheront alors sur leur propre bonheur avec des beaux bios tirés de derrière les fagots.

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Une cave d’amphores au Domaine Viret, dans la Drôme française
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PHOTOS JEAN AUBRY Philippe Viret prélevant du vin d’une jarre
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