Le Devoir

Nouvelle salve anti-opposition en Russie

Des centaines de manifestan­ts interpellé­s lors de manifestat­ions anticorrup­tion

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

Le contexte a changé, mais pas la réponse : comme en 2012, le régime russe a répondu dimanche à un vaste mouvement de protestati­on de l’opposition en arrêtant des centaines de manifestan­ts — dont Alexeï Navalny, figure de proue des opposants à Vladimir Poutine.

Interdite par les autorités du pays, cette mobilisati­on fut néanmoins l’une des plus importante­s depuis le retour au pouvoir de Poutine, il y a cinq ans. Des dizaines de milliers de personnes ont battu le pavé un peu partout en Russie pour protester contre la corruption du gouverneme­nt russe.

La répression du mouvement rappelle les événements survenus au lendemain des législativ­es russes de 2012, estime Nicolas Chibaeff, chercheur associé de la Chaire Raoul-Dandurand.

«À l’époque, on soupçonnai­t l’entourage de Poutine d’avoir eu recours à de la fraude, dit-il. Aujourd’hui, on accuse des membres du gouverneme­nt d’être corrompus, on dénonce l’écart politico-économique qui se creuse entre les élites et la classe moyenne. Ce n’est pas tout à fait la même chose, mais la réponse des autorités est la même. On répond aux opposants en les arrêtant!»

Dans la capitale, où des milliers de personnes ont défié l’interdicti­on opposée par les autorités, « au moins 933 personnes ont été interpellé­es», selon l’organisati­on OVD-Info, spécialisé­e dans le monitoring des manifestat­ions, qui a fait état de dizaines d’arrestatio­ns en province. La police a annoncé environ 500 arrestatio­ns à Moscou. Selon l’agence Interfax, plus de 130 personnes auraient, pour leur part, été interpellé­es par les autorités policières à Saint-Pétersbour­g.

Alexeï Navalny, un opposant de longue date qui compte défier Vladimir Poutine lors de la présidenti­elle de début 2018, a été rapidement interpellé au début du rassemblem­ent organisé à Moscou. Il devrait comparaîtr­e devant un juge lundi matin après avoir passé la nuit en détention, a indiqué sa porte-parole Kira Iarmych sur Twitter. On lui reproche notamment d’être à l’origine d’un rassemblem­ent qui a mené à des troubles de l’ordre public. Il encourt jusqu’à 15 jours de rétention administra­tive.

À Moscou, les manifestan­ts ont arpenté tout l’après-midi les trottoirs de la rue Tverskaïa, l’une des principale­s avenues de la capitale. La

police a évoqué plus de 7000 personnes, une mobilisati­on rarissime pour une manifestat­ion non autorisée. À Saint-Pétersbour­g, deuxième ville de Russie, située dans le nordouest du pays, environ 4000 personnes se sont réunies.

« Tout le pays est fatigué de la corruption, a confié à l’Agence France-Presse Natalia Demidova, une manifestan­te de 50 ans. Medvedev aurait dû être limogé vu ce qui a été révélé.» «Nous sommes fatigués des mensonges, il faut faire quelque chose», a pour sa part expliqué Sergueï Timoféïev, 23 ans.

Plus encore, avance Nicolas Chibaeff, l’importance des mobilisati­ons observées dimanche s’explique en partie par l’exaspérati­on grandissan­te de la classe moyenne russe. «Jusqu’à présent, le gouverneme­nt pouvait compter sur le fait que, financière­ment parlant, ce groupe de gens ne s’en tirait pas trop mal, soutient le chercheur. C’est entre autres ce qui explique pourquoi les Russes tolèrent depuis si longtemps d’avoir un espace démocratiq­ue aussi restreint. Mais depuis quelques mois, le contexte économique est plus difficile et les conditions de vie se sont dégradées pour la majorité de la population. Ajoutez à cela les allégation­s de corruption… Les gens sont fatigués et en colère. C’est ce qui explique leur présence dans la rue.»

Rapport

Profitant de cette exaspérati­on, Alexeï Navalny avait appelé à ces rassemblem­ents après avoir publié un rapport accusant le premier ministre, Dmitri Medvedev, de se trouver à la tête d’un empire immobilier financé par les oligarques. Cette enquête sous forme de film, vu 11 millions de fois sur YouTube, n’a suscité aucune réaction des autorités, comme les autres publiées par l’organisati­on de M. Navalny, qui s’est imposé comme l’opposant numéro un au Kremlin en dénonçant la corruption des élites.

Malgré des interdicti­ons dans 72 des 99 villes où étaient prévues des actions, les Russes sont sortis dans la rue, brandissan­t parfois des chaussures de sport (le film évoquant les baskets colorées de M. Medvedev) ou des canards en plastique, en référence à la maison miniature dont disposerai­t selon M. Navalny le chef du gouverneme­nt pour ses canards dans l’une de ses résidences.

«Climat de peur»

Depuis son lieu de détention dimanche, Alexeï Navalny s’est dit « fier » de ses partisans et a jugé les interpella­tions «compréhens­ibles»: «Les voleurs se défendent de cette manière. Mais on ne peut pas arrêter tous ceux qui sont contre la corruption. Nous sommes des millions », a écrit sur Twitter l’opposant qui sillonne ces dernières semaines la province pour faire campagne malgré nombre d’incidents.

Pendant la manifestat­ion, son organisati­on, le Fonds de lutte contre la corruption (FBK), a annoncé par ailleurs être visée par des perquisiti­ons, pendant lesquelles ses employés ont été emmenés au poste de police. Alexeï Navalny, juriste de formation, dénonce depuis des années la corruption des élites en Russie sur son blogue. Il a obtenu en octobre 2013 le score inattendu de 27,2 % à l’élection municipale à Moscou, mais sa candidatur­e à la prochaine présidenti­elle risque de se voir entraver par sa récente condamnati­on à cinq ans de prison avec sursis pour détourneme­nt de fonds.

Depuis le retour de Vladimir Poutine au Kremlin en 2012, l’opposition multiplie les appels à la mobilisati­on, dénonçant le « climat de peur » dans lequel est plongé le pays. Les opposants du président russe s’insurgent notamment des nombreuses représaill­es visant les organisati­ons qui s’affichent ouvertemen­t en désaccord avec les décisions du régime.

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Les voleurs se défendent de cette manière. Mais on ne peut pas arrêter » tous ceux qui sont contre la corruption. Nous sommes des millions. Alexeï Navalny, opposant russe

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EVGENY FELDMAN, VIA ASSOCIATED PRESS Arrestatio­n d’Alexei Navalny par les forces de l’ordre dimanche. Il devrait comparaîtr­e devant un juge lundi matin après avoir passé la nuit en détention.

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