Le Devoir

Sur la route › Un écosystème en mutation. Un premier bilan pour le projet-pilote Uber.

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

Bien que moins éclatante qu’à l’automne dernier, la colère gronde toujours au sein de l’industrie du taxi québécoise. Et l’encadremen­t d’Uber en vertu de la loi 100 — bien qu’on ne puisse lui attribuer tous les maux — n’aura pas suffi à mettre un frein à la chute de la valeur des permis des chauffeurs de taxi. Six mois après l’entrée en vigueur du projet-pilote, l’heure est au bilan, et les représenta­nts de l’industrie en profitent pour sonner l’alarme.

«Les chauffeurs de taxi montréalai­s n’ont jamais été aussi pauvres, lance Georges Tannous, président du Comité provincial de concentrat­ion et de développem­ent de l’industrie du taxi (CPCDIT). Depuis l’arrivée d’Uber en 2012, nos conditions de travail se sont dégradées et on peine à boucler nos fins de mois. Le projet-pilote, ce n’était que de la poudre aux yeux. Il a été adopté à toute vitesse, sans qu’on soit vraiment consultés. Aujourd’hui, on en paye encore le prix.»

Avant l’entrée en vigueur du projet-pilote d’Uber, les permis de taxi se négociaien­t autour de 150 000$ à Montréal. Cinq ans plus tôt, avant l’arrivée d’Uber sur le marché québécois, ce même permis valait près de 80 000$ de plus. Aujourd’hui, les transactio­ns frôlent à peine les 100 000 $. «Seulement dans la région de Montréal, on parle d’une perte de revenus de près de 200 millions de dollars », estime M. Tannous.

En outre, selon lui, il est de plus en plus difficile pour les chauffeurs d’obtenir du financemen­t auprès des institutio­ns bancaires. «Nous ne sommes plus un investisse­ment intéressan­t, avance-t-il en soupirant. Les normes se sont resserrées et la Caisse populaire, l’un des joueurs les plus importants, est en train de sabrer ses départemen­ts consacrés au taxi. L’obtention d’un prêt, pour effectuer des réparation­s majeures sur un véhicule par exemple, ou même pour en acheter un neuf, risque de devenir particuliè­rement compliquée. Ça n’annonce rien de bon pour nous.»

Et sur le terrain, les choses ne vont guère mieux. Les heures s’allongent et les courses se font rares. Toujours plus difficiles, les mois d’hiver semblent l’avoir été encore

plus cette année. En ce sens, certains chauffeurs ont d’ailleurs confié au Devoir n’avoir même pas réussi à rentabilis­er leur soirée du 31 décembre, nuit qui leur permet normalemen­t de survivre aux premières semaines creuses de l’année.

Uber s’adapte

Malgré les doléances de l’industrie, les six premiers mois du projet-pilote d’Uber semblent s’être déroulés rondement, au dire du ministère des Transports du Québec. De fait, la filiale québécoise du géant californie­n a procédé à plusieurs changement­s depuis l’entrée en vigueur du projet d’encadremen­t. L’entreprise a notamment dû se procurer un permis d’intermédia­ire en services de transport de taxi. Ses chauffeurs, pour leur part, doivent maintenant obtenir un permis de conduire de classe 4C — le même que celui des chauffeurs de taxi traditionn­els — avant de pouvoir effectuer la moindre course.

«Jusqu’à présent, l’entreprise se conforme aux obligation­s fixées par l’arrêté ministérie­l, affirme l’attaché de presse du ministre des Transports, Mathieu Gaudreault. […] Comme dans tous les projets, des ajustement­s ont été nécessaire­s, mais dans l’ensemble, nous sommes satisfaits. » Même son de cloche du côté du Bureau du taxi de Montréal (BTM) qui assure, avec les contrôleur­s routiers de la Société de l’assurance automobile du Québec, le suivi sur le terrain. Des données sommaires, dont Le Devoir a obtenu copie, révèlent en effet que, sur les 473 inspection­s réalisées par le BTM depuis le début de l’année 2017, plus de 60% étaient conformes aux modalités du décret ministérie­l.

«Il s’agit d’un des cadres règlementa­ires les plus contraigna­nts avec lequel nous devons travailler », souligne Jean-Nicolas Guillemett­e, directeur général d’Uber Québec. Ces nouvelles modalités ont entraîné, selon ses observatio­ns, un changement de comporteme­nt chez certains de leurs partenaire­schauffeur­s. « Comme c’est un peu plus compliqué, nous en avons plus aujourd’hui qui décident de faire ça à temps plein, avance le gestionnai­re. Mais sinon, dans l’ensemble, ça se passe plutôt bien. Et il ne faut pas oublier que nous voulions être règlementé­s. Maintenant, on s’ajuste et la croissance continue d’être au rendez-vous. »

Vers une indemnisat­ion?

Le projet-pilote oblige également maintenant l’entreprise à verser des redevances au gouverneme­nt pour chacune des courses effectuées par ses chauffeurs. Cette question fiscale, rappelons-le, était au coeur même des débats entourant les activités de la multinatio­nale, et c’est sans doute celle qui cause le plus de friction quand l’entreprise essaie s’implanter dans une nouvelle ville. Perçues par Uber, ces dernières oscillent aujourd’hui entre 0,97 $ et 1,37$ par voyage. Les partenaire­s-chauffeurs de l’entreprise devront également déclarer l’ensemble de leur revenu, au même titre que n’importe quel travailleu­r autonome.

Au moment de la signature de l’entente, à l’automne dernier, le gouverneme­nt affirmait que cet argent, engrangé dans un Fonds de modernisat­ion de l’industrie, pourrait, à terme, servir à dédommager en partie les chauffeurs de taxi si la valeur des permis continuait de chuter. À l’heure actuelle, rien n’indique toutefois que le ministère ira en ce sens. Un comité de modernisat­ion du taxi, présidé par le député Ghislain Bolduc, l’adjoint parlementa­ire du ministre des Transports, devrait voir le jour pour, notamment, se pencher sur cette question.

« Est-ce que le gouverneme­nt va encore attendre à la dernière minute pour intervenir? se désole Georges Tannous du CPCDIT. Au moment de la signature du projet-pilote d’Uber, le ministère nous a promis qu’un comité veillerait à ce que l’industrie obtienne sa juste part. Ça fait six mois, on attend toujours et les choses sont loin de s’être améliorées pour nous. Est-ce qu’il faudra attendre la mort du taxi pour agir ? »

La filiale québécoise du géant californie­n a procédé à plusieurs changement­s depuis l’entrée en vigueur du projet d’encadremen­t

 ??  ??
 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? En septembre, une manifestat­ion de chauffeurs de taxi s’est tenue à Montréal en opposition au projet-pilote permettant à Uber d’opérer au Québec.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR En septembre, une manifestat­ion de chauffeurs de taxi s’est tenue à Montréal en opposition au projet-pilote permettant à Uber d’opérer au Québec.

Newspapers in French

Newspapers from Canada