Le Devoir

Où est le problème avec la laïcité ?

- JEAN-NOËL TREMBLAY DENYS LAROSE Les auteurs sont des retraités de Québec qui ont notamment été directeurs généraux du Cégep de Sainte-Foy et du Campus NotreDame-de-Foy

Il ne se passe pas une journée sans qu’on revienne sur la question de la laïcité. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a confusion dans les esprits. Par exemple, dans l’affaire du crucifix à l’Hôpital du Saint-Sacrement de Québec, c’est l’administra­tion seule qui a statué sur son retrait à huis clos. Elle l’a fait en s’appuyant sur un jugement de la Cour suprême invalidant la pratique du maire de la Ville de Saguenay consistant à commencer les réunions du conseil de ville par une prière. Sous la pression populaire, et un peu de surf du monde politique, le crucifix a retrouvé son refuge.

Nombre de commentair­es sur la laïcité s’embrouille­nt dès qu’il s’agit de plaider la neutralité de l’État, le droit ou non pour les individus de porter des signes religieux ou de considérer les symboles religieux dans nos institutio­ns comme ayant valeur patrimonia­le. Dans ce contexte, on en vient rapidement de façon aléatoire, selon l’opinion, à distribuer la médaille de l’inclusion ou de l’exclusion à différents corps dans la société; sinon à frapper d’anathème toute la société québécoise pour le penchant raciste ou xénophobe de quelques-uns de ses membres.

Depuis la production du rapport de la commission Taylor-Bouchard sur la laïcité et les accommodem­ents raisonnabl­es, le débat s’enlise. D’abord «tabletté» sous Jean Charest, dénaturé dans une joute parlementa­ire aux accents de xénophobie et d’islamophob­ie, le débat à l’Assemblée nationale, après le drame de la mosquée de Québec, fut subtilemen­t abandonné. Par son effacement du devant de la scène, le retrait tactique du gouverneme­nt a ajouté encore plus à la confusion dans les esprits. La laïcité est-elle le résultat d’un arrangemen­t institutio­nnel ou un système de valeurs qu’il nous faut entre nous réaménager à partir du droit? Question restée sans réponse claire jusqu’à aujourd’hui

Dérive sémantique

Si la neutralité de l’État n’a pas d’assise dans la laïcité, elle contredit à sa face même le principe de dissocier religion et citoyennet­é, principe pour la première fois formulé en 1598 par le fameux édit de Nantes et considéré comme l’origine du concept français de laïcité. Le concept issu de la loi Combes en 1905 fut retenu, en Occident, comme faisant partie du bien commun, soit celui à la fois d’assurer la neutralité de l’État et de garantir, de ce fait, le droit pour chacun de pratiquer sa religion. Il va sans dire que le principe de neutralité de l’État et son corolaire sur la laïcité ne se résument pas à concocter un projet de loi débattu en Chambre comme si on négociait les conditions de travail d’un groupe de syndiqués.

Bref, on ne sait plus trop où le Québec s’en va, ni ce qu’il faut comprendre, ou encore qui a raison. Dans l’espace médiatique et public, l’esprit s’égare quand le sens des mots demeure obscur. La compréhens­ion s’effrite lorsque les notions de neutralité de l’État, de laïcité, de diversité et d’identité, de multicultu­ralisme ou d’intercultu­ralisme ne font que multiplier les points de vue, les opinions et les jugements. Le gouverneme­nt ne peut pas congédier l’histoire du Québec et son évolution comme société distincte au profit d’un ersatz appelé «le vivreensem­ble», sorte de dérive sémantique qui tend à nier la nature propre de la société québécoise d’aujourd’hui.

Le gouverneme­nt doit se reconnaîtr­e dans l’histoire du Québec pour comprendre que la laïcité est devenue une valeur démocratiq­ue. Il faut reconnaîtr­e que le « sacré laïque », où la puissance synthétiqu­e du sacré se manifeste par des objets, monuments, documents du patrimoine historique, et que le « sacré religieux » lié à la pratique religieuse de chacun forment un tout. En d’autres mots, si on souhaite à la fois protéger le bien commun et les droits de la personne et si on comprend que dans la fameuse « Déclaratio­n des droits de l’homme et du citoyen», le 26 août 1789, il y a dans la même personne le mot citoyen et le mot homme, alors notre gouverneme­nt doit rassembler les membres de l’Assemblée nationale autour d’un consensus minimal sur la question de la laïcité et ainsi rejoindre les préoccupat­ions et attentes de la société québécoise et des nouveaux arrivants qui s’y joignent.

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