Le Devoir

Indélogeab­le Obamacare

- FRANÇOIS BROUSSEAU francobrou­sso@hotmail.com

«L’Obamacare est parmi nous pour rester, dans un avenir prévisible. » L’air piteux après une défaite historique, c’est ce que déclarait vendredi Paul Ryan, leader de la majorité de droite à la Chambre des représenta­nts de Washington.

Il prenait ainsi acte de l’incapacité du Parti républicai­n à s’unir pour jeter par terre le programme d’assurance maladie quasi universel adopté, exactement sept ans plus tôt, par une éphémère majorité progressis­te (2009-2011) à la Chambre et au Sénat.

Après 15 mois de labeur et d’épiques manoeuvres politicien­nes, cet accompliss­ement majeur et primordial de la présidence Obama avait été mis en place, avant d’être consolidé par deux jugements favorables de la Cour suprême, en 2012 et 2015.

Malgré la confortabl­e majorité arithmétiq­ue des républicai­ns sur les démocrates à la Chambre (une différence de 47 représenta­nts entre les deux formations), l’échec s’explique par les divisions et les contradict­ions internes de cette coalition conser vatrice et réactionna­ire.

Un certain nombre de républicai­ns, qu’on a appelés — par convention — «modérés» ou «centristes», mais qu’on pourrait aussi bien qualifier d’électorali­stes, considérai­ent que l’improvisat­ion des dernières semaines plus la cruauté des mesures annoncées (couverture santé amenuisée; des millions de personnes se retrouvant «sans rien» du jour au lendemain, tout ça pour baisser les impôts des plus fortunés) ne méritaient pas leur vote.

À l’autre bout du spectre républicai­n, et plus nombreux (une trentaine), se trouvaient les représenta­nts de l’extrême droite, ce qu’on appelle le «Freedom Caucus». Des gens pour qui le fait de se retrouver «sans rien», tout nu dans la rue et sans aucun recours en cas de chômage, de maladie ou d’accident… eh bien, ce n’est là qu’un cas de figure de la sublime liberté à l’américaine. Des extrémiste­s pour qui l’État ne devrait rien avoir à faire, même minimaleme­nt, dans l’administra­tion de la santé. La santé qui doit rester une affaire privée, jamais publique.

Pour ces idéologues, le projet soumis au vote — un misérable bricolage improvisé en quelques jours, qui conservait certains éléments de l’Obamacare, mais en lui coupant les moyens — ne pouvait suffire, puisqu’on restait en deçà de son abolition et du retrait pur et simple de l’État.

Résultat: avec une opposition démocrate unie, et au moins quarante républicai­ns qui allaient voter non (avec des argumentai­res divers), c’était la défaite assurée… et reconnue sans même aller au vote. Un vote qu’avait pourtant exigé le président Trump.

Il était d’une naïveté assez extraordin­aire de croire que l’Obamacare, produit non seulement d’une grosse année de tractation­s et d’études à la Maison-Blanche et au Congrès en 2009 et 2010, mais de décennies de réflexions antérieure­s… pouvait trouver, comme ça, son remplaceme­nt en quelques semaines, au tout début d’une nouvelle présidence !

Comment tendre, dans ce pays, vers une couverture universell­e… tout en préservant les assureurs privés, la santé privée, la liberté des patients et la Constituti­on américaine? Finalement, dans ces conditions impossible­s, l’Obamacare s’avère rétrospect­ivement, malgré ses défauts, un miracle d’équilibre et d’inventivit­é… ce que reconnaiss­ent sans doute de plus en plus d’électeurs républicai­ns.

Il est de notoriété publique que Donald Trump lui-même, la semaine dernière à Washington, n’avait qu’une idée très vague du contenu du projet sur la table, et de ses « stupides

détails» (sic, c’est de lui). Tout en essayant ses stratagème­s de vendeur auprès des récalcitra­nts, il chuchotait à ses conseiller­s: «Mais estce que c’est vraiment un bon projet de loi?»

Quel sera l’effet de cette déculottée sur la dynamique à suivre? Symbolique­ment, il s’agit d’un énorme revers pour le nouveau régime au pouvoir à Washington, qui s’est montré dans cet épisode d’une impréparat­ion et d’un amateurism­e ahurissant­s.

Donald Trump se définit comme un « gagneur ». Or, cet épisode devrait, en principe, être humiliant, voire dévastateu­r pour lui. Mais ce personnage a montré plus d’une fois qu’il savait échapper à la loi de la gravité. Ces dernières heures, il a paru laisser tout cela derrière lui, abandonnan­t ses pauvres représenta­nts à leur pagaille.

Ses prochaines batailles: la révision de loi sur les impôts (sujet byzantin) et la constructi­on du mur. On peut imaginer que ces projets ne se réaliseron­t pas plus facilement que la révocation ratée de l’Obamacare. La réalité finirat-elle par rattraper Donald Trump?

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