Le Devoir

40 litres d’eau dans votre tranche de pain

Et au moins 4500 litres pour produire votre steak

- ÈVE BEAUDIN

Y a-t-il vraiment 4500 litres d’eau dans un steak? Pour répondre à cette question, il faut se référer à une mesure appelée l’« empreinte eau », qui désigne le volume d’eau douce nécessaire à la production d’un produit ou d’un aliment.

Le concept d’empreinte eau, proposé en 2002 par le professeur en gestion de l’eau Arjen Hoekstra, des Pays-Bas, a conduit à la création en 2008 du Water Footprint Network, un réseau de partenaire­s (entreprise­s et université­s) voué à promouvoir ce concept et à développer des outils pour mesurer une utilisatio­n durable de l’eau.

L’intérêt de l’empreinte eau, c’est qu’elle met en lumière l’eau cachée dans nos aliments. On a beau savoir que l’agricultur­e est très gourmande en eau, cela devient plus compréhens­ible — et frappant — quand on accole un volume d’eau précis aux aliments que nous consommons. Qui aurait cru par exemple qu’il fallait 1000 litres d’eau pour faire pousser un seul kilo de blé et 322 litres d’eau pour produire un kilo de légumes?

À partir de ces données, les scientifiq­ues du Water Footprint Network sont en mesure d’estimer la quantité d’eau nécessaire à la production de plusieurs aliments: 40 litres d’eau sont dissimulés dans une tranche de pain, la production d’une seule tasse de café engloutit 140 litres et un petit bol de 100 grammes de riz siphonne près de 340 litres d’eau!

La viande, très gourmande en eau

En plus de l’eau qu’ils boivent, les animaux d’élevage en consomment aussi par l’entremise des céréales et de l’herbe qu’ils mangent. Prenons l’exemple d’un boeuf d’élevage, la viande qui demande le plus d’eau à produire. Le Water Footprint Network calcule que l’animal mettra environ trois ans pour atteindre l’âge adulte et produire 200 kg de viande. Durant sa vie, l’animal aura bu 24 000 litres d’eau, quelque 7000 litres d’eau auront été nécessaire­s à son entretien, et il aura mangé en moyenne 1300kg de grains (blé, maïs, soja, avoine) et 7200kg d’herbe (pâturage, foin sec, ensilage et autres fourrages), dont le bilan en eau atteint 3 millions de litres.

En additionna­nt ces volumes, on en arriverait à un total de 15 000 litres d’eau pour produire 1 kg de boeuf. Autrement dit, si le steak de notre lecteur pèse 300 grammes, il semble effectivem­ent qu’il aura fallu 4500 litres d’eau pour le produire, soit l’équivalent de 30 baignoires! À avaler son steak de travers, non?

Entre moyennes et réalité

Les chiffres avancés par le Water Footprint Network sont des estimation­s globales moyennes. D’ailleurs, l’organisati­on le souligne dans ses documents explicatif­s, dont un qui date de 2008: l’empreinte d’eau du boeuf varie énormément en fonction du climat, du type de sol, du mode d’élevage et de l’alimentati­on donnée au bétail.

Cependant, de nouvelles méthodes de calcul apportent un peu plus de précision. C’est le cas de l’Analyse de cycle de vie (ACV), une approche standardis­ée au niveau internatio­nal qui est en mesure d’évaluer l’empreinte eau des aliments, en plus de ses impacts sur l’environnem­ent et la santé humaine.

Depuis quelques années, l’approche ACV a été appliquée pour estimer l’empreinte eau de certaines production­s animales. On pouvait d’ailleurs lire dans un article du journal La Presse, en 2015, que les éleveurs de porcs du Québec ont fait faire une analyse de cycle de vie qui a révélé que la production porcine québécoise consommera­it moins d’eau que la moyenne mondiale et que 60 % de la consommati­on totale d’eau nécessaire à cette production était reliée à l’alimentati­on des cochons (grains et moulée).

Outil utile

Que pensent les chercheurs spécialisé­s en analyse de cycle de vie des moyennes établies par le Water Footprint Network? Le Détecteur de rumeurs a contacté Anne-Marie Boulay, chercheuse postdoctor­ale au CIRAIG de Polytechni­que Montréal et à LIRIDE de l’Université de Sherbrooke. «Leur indice est un outil très utile pour mesurer le volume d’eau nécessaire pour obtenir un aliment. Mais la même quantité d’eau utilisée pour élever du bétail n’aura pas les mêmes impacts selon qu’elle soit utilisée au Canada, en Argentine ou en Australie. C’est pourquoi l’analyse de cycle de vie a mis au point des indicateur­s qui prennent en compte ces impacts», explique-t-elle.

La chercheuse est également coprésiden­te d’un groupe de l’Organisati­on des Nations unies pour l’alimentati­on et l’agricultur­e qui vise à mettre au point une mesure précise pour évaluer l’empreinte d’eau des élevages et leur performanc­e environnem­entale. Ultimement, ce nouvel indicateur pourrait apporter des informatio­ns plus précises sur l’emballage des aliments, qui indiquerai­ent à l’acheteur combien d’eau il a fallu pour produire son pain, sa pomme et son steak!

Il est possible que le steak ait demandé plus ou moins de 4500 litres d’eau, selon sa provenance, le mode d’élevage et l’alimentati­on du bétail.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR La production de la viande de boeuf est celle qui demande le plus d’eau.

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