Le Devoir

Craindre à la fois les intégriste­s et les racistes

Hanane Charrihi, qui a perdu sa mère dans un attentat djihadiste, signe un livre sur sa vision pacifique de l’islam

- NORA SCHWEITZER à Paris

«Bande de terroriste­s», « on ne veut plus de vous ici». Hanane Charrihi se souviendra toujours de ces mots lancés par des passants alors que sa famille se recueillai­t à Nice (sud-est de la France), après la mort de sa mère, Fatima, dans l’attentat du 14 juillet 2016.

«J’avais la gorge serrée. On s’attendait à des petites phrases comme ça, mais en étant devant un mémorial avec des fleurs, en mode recueillem­ent, on prend une gifle», raconte à l’AFP la jeune femme de 27 ans, qui a publié un livre et créé une associatio­n après la mort de sa mère.

Jusque-là, Hanane Charrihi n’avait jamais éprouvé un tel rejet, même si elle avait déjà perçu un changement: depuis le premier des attentats djihadiste­s ayant frappé la France, le 7 janvier 2015 contre le journal satirique Charlie Hebdo, la situation s’est tendue pour les musulmans, et notamment pour les femmes qui, comme elle, portent le foulard.

Fille de Marocains arrivés en France dans les années 1970, elle ne s’est «jamais sentie exclue» dans le quartier où elle a grandi sur les hauteurs de Nice. En région parisienne, où elle vit depuis son mariage il y a sept ans, elle ne se sent pas non plus ostracisée à cause de son voile. Certes, il y a des regards, notamment quand elle va à Paris, mais c’est «de la curiosité plus que de la méchanceté ».

La claque, pour elle, est venue avec les commentair­es entendus le jour d’un grand rassemblem­ent organisé à Nice à la mémoire des 86 victimes — dont sa mère —, tuées dans l’attaque d’un Franco-Tunisien au volant d’un camion meurtrier, un attentat revendiqué par le groupe État islamique.

«On ne veut plus de vous ici», «cassez-vous»…. Qu’importe si elle porte le deuil de sa mère: «Tant mieux! Ça en fait une de moins», lui lance un passant.

Pour elle, c’est «la double peine»: «la peur de Daech [acronyme arabe du groupe EI] comme tout le monde mais en plus, la peur des racistes». « Quand je prends le métro à Paris, je ne me mets pas au bord du quai, j’ai trop peur qu’on me pousse. Je mentirais si je disais que je n’ai pas peur», confie la jeune femme aux yeux noirs autour d’un verre de thé, dans son appartemen­t d’Aulnay-sous-Bois près de Paris.

Hanane Charrihi pense que les politicien­s ont une «responsabi­lité énorme » dans l’amalgame fait entre musulmans et terroriste­s. Elle voit une forme d’« acharnemen­t » contre sa communauté dans les discours politiques avant la présidenti­elle. «C’est le turbo de la course à l’Élysée. Si on met un peu d’islam dans sa voiture, elle avance plus vite. C’est logique parce que tout le monde a peur de Daech. »

Fausse représenta­tion

Elle regrette aussi que les médias se focalisent sur une minorité, qui «ne représente pas les musulmans de France dans leur ensemble». «Ils interrogen­t des imbéciles de 16 ans qui racontent n’importe quoi. Pourquoi ils ne montrent pas les jeunes qui ont fait leurs études islamiques en France, les imams de la République ? », s’interroge cette mère de deux petits garçons.

Pour lutter « contre les amalgames», cette préparatri­ce en pharmacie devenue mère au foyer à la naissance de son premier enfant a choisi de prendre la parole. Elle a publié un livre, Ma mère patrie pour raconter « l’islam de paix, de respect et de tolérance» que sa mère Fatima lui a enseigné, et affirmer haut et fort: «Ma mère n’est pas coupable. Ce n’est pas une terroriste.»

Elle crie aussi son amour à la France. Un attachemen­t transmis par sa mère, qui voulait qu’elle «trouve sa place dans la société». «Ma mère était une bonne Française, même si elle n’était pas née en France et qu’elle n’avait pas la nationalit­é française», insiste-t-elle.

Portée par les centaines de messages de soutien reçus après la mort de sa mère, elle lance une associatio­n avec son frère, Ali, et sa soeur, Latifa, pour sensibilis­er les jeunes aux dangers de la radicalisa­tion et promouvoir un discours d’union.

«J’ai perdu l’être le plus cher, mais ils ne m’ont pas abattue. C’est ma manière de me venger. Nous diviser, c’est exactement ce que veut Daech.»

« Quand je prends le métro à Paris, je ne me mets pas au bord du quai, j’ai trop peur qu’on me pousse»

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