Le Devoir

La bouleversa­nte énergie du désespoir de Marie-Nicole Lemieux

Les larmes de la chanteuse ont fait chavirer le Théâtre des Champs-Élysées à Paris

- CHRISTOPHE HUSS à Paris

«RÉCITAL VOIX» — MARIE-NICOLE LEMIEUX (CONTRALTO) Rossini: Airs de Matilde di Shabran, Semiramide, Tancredi, L’Italienne à Alger, Le Barbier de Séville. Ouvertures de Guillaume Tell, Semiramide, L’Italienne à Alger, Le Barbier de Séville. Orchestre National de Montpellie­r-Occitanie, Jean-Marie Zeitouni, Théâtre des Champs-Élysées, vendredi 24 mars.

«Je peux vous dire que ce n’est pas facile, parfois. Mais je peux vous dire que j’y mets tout mon amour. » Un «On t’aime!» fuse du balcon. La salle applaudit. C’est en s’adressant directemen­t au public avant son troisième air de la première partie que Marie-Nicole Lemieux ressent le besoin d’exposer publiqueme­nt sa fragilité vocale d’un soir, la larme à l’oeil. Geste inhabituel. Geste qui marquera un tournant dans son récital et ouvrira la voie à un triomphe d’une rare intensité. «Il y a très longtemps que je n’ai pas vu une salle dans cet état», me dira ma voisine à la fin du concert.

Cette soirée au Théâtre des Champs-Élysées à Paris devait couronner triomphale­ment une tournée de cinq concerts saluant la parution récente du disque Rossini de Marie-Nicole Lemieux, son premier chez Warner Classics.

Mais tout ne s’est donc pas passé comme attendu. La voix est un instrument fragile. Et pour notre contralto nationale, le retour à la réalité a touché un air au titre prédestiné: «Dans une si cruelle infortune…» de l’opéra Semiramide. Le si bémol aigu ne passait tout simplement plus. Marie-Nicole Lemieux a fait un geste, du type «désolé». Tout le malheur de la terre semblait s’abattre sur elle. C’est toute la voix qui n’allait pas au mieux. La chanteuse qui semblait enrouée, mais n’a jamais cherché d’excuses, avait beaucoup stressé son organe d’emblée avec un air escarpé de Matilde di Shabran.

Le public a soutenu la chanteuse, même si le troisième air (celui après l’adresse au public) tenait surtout par l’énergie du désespoir. «Bravo!», criait le public. «Non, non, je ne le mérite pas», mimait Marie-Nicole, humblement.

La seconde partie a vu une montée en assurance progressiv­e de la chanteuse, d’abord prudente et craintive, puis plus hardie et maîtrisant son art. Trois airs là aussi, dont un « Cruda sorte» (air d’ouverture du CD) économe vocalement, mais techniquem­ent parfaiteme­nt maîtrisé, un «Une Voce poco fa» du Barbier, où la contralto a commencé à redéployer sa voix à partir des graves et a passé ses aigus, et un air de l’Italienne à Alger immaculé, achevé sur les paroles «Face aux aléas d’un sort inconstant, qu’une femme t’enseigne à rester fort»!

Partout, Marie-Nicole Lemieux était épaulée par Jean-Marie Zeitouni avec une exemplaire complicité. Le chef québécois a lui aussi marqué des points, car l’enthousias­me pour ses interpréta­tions burinées d’ouvertures de Rossini à la tête de l’Orchestre de Montpellie­r était de plus en plus manifeste de la part du public.

À la fin, Marie-Nicole Lemieux a fait taire les vivats pour reprendre la parole: «Merci, je n’y serais pas arrivée sans vous. J’ai cru mourir… » Et d’y aller, malgré sa fatigue de trois rappels : un air désopilant de La pietra del paragone, La Danza, et la fin de «Cruda sorte». Au bout du compte, une salle en délire. La sincérité avait payé !

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CHRISTOPHE HUSS La chanteuse Marie-Nicole Lemieux a été émue aux larmes lors de sa prestation parisienne.

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