Renouveau de l’horreur au féminin
Une vague de réalisatrices s’empare d’un genre longtemps réservé aux hommes
The Love Witch, cet ingénieux pastiche signé Anna Biller, n’est qu’un des nombreux films récents amenés par des réalisatrices qui font enfin leur un genre longtemps réservé aux hommes: l’horreur.
Depuis quelques années, le cinéma d’horreur vit un renouveau. C’est, en bonne partie, le fait d’un groupe de réalisatrices qui, dans leurs films, bousculent les codes et les poncifs qu’ont établis avant elles des légions de réalisateurs, puis qu’a maintenus par la suite une
industrie largement masculine. Alors que le circuit festivalier reste peu friand de ce genre sous-évalué, les films de ces réalisatrices s’y illustrent. Ce fut le cas de The Love Witch, de l’Américaine Anna Biller, qu’on pourra voir au cinéma du Parc dès ce vendredi. Plus près de nous, Izabel Grondin espère tourner son premier long métrage, Les oubliés, rare incursion québécoise du côté de la terreur. On a voulu creuser la question avec elles deux.
«Traditionnellement, l’horreur a été pensée comme un genre fait par et pour les hommes», lance d’entrée de jeu Anna Biller.
Une affirmation à laquelle acquiesce Izabel Grondin, qui précise toutefois: «Sauf peut-être tout au début du cinéma, avec Méliès, Murnau, Lang, Wiene, Mamoulian, etc. À partir de la fin des années 1940, début des années 1950, le cinéma d’horreur n’a plus été fait que par et pour des hommes. Brutal, macho, sexy. Ça change parfois, mais cette recette prévaut encore.»
Ce qui n’a pas empêché Izabel Grondin, naguère, de s’enticher dudit genre.
«Mon initiation s’est faite précocement, par hasard. À la télé — au “Cinéma de 5 heures” pour les nostalgiques — jouait un des Dracula de La Hammer Studio, avec en vedette Christopher Lee. Tous ceux qui connaissent la série savent qu’il y avait toujours une certaine dose d’érotisme dans ces films. Très chaste, j’en conviens, mais quand on a 9 ans, ça marque. Je dirais que c’est ce mélange d’organique, de physique, de violence aussi, dans tout cet univers baroque, précieux, noble et artistique, qui m’a allumée et m’allume encore. Et bien sûr, avec l’âge, ce besoin de me faire expulser de ma zone de confort, afin de pouvoir ensuite me sentir bien vivante; l’effet montagnes russes.»
«Les femmes ont leurs propres conceptions et expressions de l’horreur
Anne Biller
Filmer différemment
The Love Witch est le premier long métrage d’Anna Biller, qui l’a écrit, réalisé, monté, mais en a aussi assuré la direction artistique, créé les costumes et composé la musique. Le film relate les escapades sensuelles et surnaturelles d’une apprentie sorcière californienne désireuse de comprendre les hommes, quitte à les tuer ce faisant. The Love Witch a été conçu comme l’un de ces délires psychédéliques en technicolor ayant fait les belles heures des cinéparcs au cours des années 1960-1970.
Ce sous-genre aux accents volontiers érotiques est typique d’une vision objectivée de la femme dont le cinéma d’horreur s’est souvent rendu coupable à grand renfort de nudité.
«Une réalité à laquelle les hommes ne pensent jamais, c’est que lorsque vous êtes une femme, vous ne fétichisez pas les femmes comme le ferait un homme, note Anna Biller. Vous fétichisez les femmes de l’intérieur de votre propre corps. C’est un regard narcissique. Je crois que la plupart des réalisatrices filment les femmes différemment des réalisateurs. »
Quant au film Les oubliés, Izabel Grondin en est à l’étape du financement. Produit par Christine Falco de Camera Oscura et distribué par l’Atelier de distribution, cette adaptation libre du roman Le quartier des oubliés de Madeleine Robitaille conte le cauchemar de voyageurs dont l’autocar a été intercepté par des preneurs d’otages.
Les oeuvres en question
Elles sont de fait nombreuses, les spectatrices qui apprécient le cinéma d’horreur. Pourtant, leur expérience et leur point de vue, historiquement absents du scénario et de la mise en scène, ont longtemps constitué l’angle mort du genre.
« Les femmes ont leurs propres conceptions et expressions de l’horreur», croit à cet égard Anne Biller. Le cinéma d’horreur (dans toutes ses déclinaisons) que propose depuis quelques années une kyrielle de réalisatrices tend à lui donner raison.
Grave de Julia Ducournau, sur une étudiante qui découvre les vraies raisons du végétalisme de sa famille, The Babadook de Jennifer Kent, sur les problèmes psychiques d’une mère qui s’incarnent dans un monstre, Prevenge d’Alice Lowe, sur la rage homicide d’une femme enceinte et en deuil, A Girl Walks Alone at Night d’Ana Lily Amirpour, sur les pérégrinations nocturnes d’une vampire hipster, The Invitation de Karyn Kusama, sur un sinistre souper «entre amis»: ce ne sont là que quelques-uns de ces films d’horreur, qui mélangent tous joyeusement les genres et les influences, où se déploient ces «conceptions» et «expressions» propres.
Satisfaction particulière
Tout en affirmant qu’il est très satisfaisant d’écrire des personnages féminins intéressants pour le cinéma en général, Anna Biller précise que ce l’est encore davantage en horreur.
«Les personnages féminins forts en horreur informent la conscience collective d’une manière archétypale, qui reste dans l’esprit du public, estime-t-elle. Les gens qui regardent les films d’horreur ont l’habitude de voir de beaux corps féminins violés et mutilés d’une manière artistique. La sexualité masculine en vient à mettre cela en rapport avec la porno violente. Les femmes, quant à elles, pourront se sentir déprimées par ces films où elles ne sont réduites qu’à des corps sur lesquels on agit. »
Tout est affaire de perspective, de point de vue justement.
« Dans The Love Witch, on a une protagoniste de film d’horreur dotée de désirs, de sentiments, imparfaite certes, mais belle et en pleine possession de ses moyens, et autour de qui s’articule l’action. Surtout, c’est SON histoire — elle est au centre de celle-ci. C’est à propos d’une femme, et non d’un fantasme ou d’une projection de femme. »
Financer l’horreur
Fait à signaler, tous ces films de réalisatrices américaines et britanniques ont été produits par des studios indépendants. À ce propos, Izabel Grondin relève qu’à de rares exceptions, c’est le lot du cinéma d’horreur au Québec également. Le snobisme prévaut encore dès lors qu’il s’agit d’horreur, selon elle.
«Je donne l’exemple du Festival Fantasia: pendant presque un mois, les rues de Montréal sont envahies par des files d’attentes, tous âges et cultures confondus, et ce, chaque jour, pour chaque film. Pareil pour le festival Spasm, qui remplit régulièrement le Club Soda et le Théâtre Plaza, et ce, depuis 15 ans, avec des courts métrages de genre de partout dans le monde, mais beaucoup du Québec. Vous ne trouvez pas ça un peu aberrant que, malgré la demande évidente d’un public trop souvent laissé pour compte, dans une province qui loge l’un des plus gros festivals internationaux de films de genre au monde, eh bien, cette même province ne prend presque pas de risques pour financer un film de genre d’ici ? J’arrête là. »