Le Devoir

Ce ne sera pas facile, prévient Brian Mulroney

Les États-Unis ne feront pas de cadeau au Canada, dit l’ancien premier ministre

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Si le gouverneme­nt Trudeau espérait que Brian Mulroney vienne les rassurer quant aux visées de Donald Trump sur l’avenir de l’ALENA, c’est tout le contraire que leur aura offert l’ancien premier ministre. Car la négociatio­n sera « serrée », a prévenu le père de l’accord de libre-échange, qui était de retour au Parlement pour rencontrer les ministres libéraux.

Ambassadeu­r officieux du gouverneme­nt canadien auprès du gouverneme­nt américain, Brian Mulroney avait été invité à rencontrer le sous-comité de ministres responsabl­es des relations du Canada avec les ÉtatsUnis. Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, M. Mulroney profite de sa relation d’amitié avec ce dernier, de même qu’avec le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, pour faire le pont entre Ottawa et Washington.

«Ça va être une négociatio­n serrée. Avec les Américains, c’est toujours le cas», prévenait-il en arrivant au Parlement jeudi.

Il n’était pas plus optimiste à sa sortie de la rencontre du cabinet libéral. Le président Trump a beau avoir tenté, depuis son élection,

« Ça fait 25 ans. Alors, nous aurons à prendre certaines décisions importante­s.»

d’apaiser les craintes canadienne­s en promettant de simples ajustement­s mineurs à l’ALENA, Brian Mulroney n’y croit pas. « Il y a de la matière. Il y a de la viande là-dedans à être négociée, a laissé tomber l’ancien premier ministre progressis­te-conservate­ur à sa sortie de la rencontre de deux heures. Ça fait 25 ans. Alors, nous aurons à prendre certaines décisions importante­s.»

Les États-Unis risquent, à son avis, de vouloir revoir les clauses sur les règles d’origine ou sur le mécanisme de règlement de différends. « C’est un document qui reflète un désir d’avantage pour le territoire américain, alors, vous pouvez vous attendre à ce que ce soit difficile, a-t-il convenu. Je ne suis pas inquiet. Mais je sais que ça va être extrêmemen­t difficile pour y arriver.»

L’ambassadeu­r canadien en poste à Washington, David MacNaughto­n, n’a pas voulu dire s’il croyait que la renégociat­ion de l’ALENA compterait plus que des ajustement­s mineurs, comme le laissait entendre Donald Trump en février. « Nous allons entamer ces négociatio­ns et nous allons faire de notre mieux pour le Canada », s’est-il contenté de répondre.

Mais d’abord, il faudra attendre que les ÉtatsUnis entament ces pourparler­s en déclenchan­t le préavis de trois mois. L’ambassadeu­r MacNaughto­n s’était fait dire que cette étape était «imminente». «“Imminente” semble s’éterniser», a-t-il relaté.

Messages contradict­oires

Le président Trump a adouci le ton, depuis la campagne électorale lors de laquelle il martelait sur toutes les tribunes que l’ALENA est un « désastre » et le pire accord de libre-échange jamais négocié. Cet hiver, il reconnaiss­ait plutôt qu’il n’existe pas le même déséquilib­re commercial entre le Canada et les États-Unis qu’entre les États-Unis et le Mexique.

L’ébauche d’une lettre par le représenta­nt commercial par intérim des États-Unis, Stephen Vaughn, a cependant ravivé les inquiétude­s la semaine dernière, puisque le document citait une liste préliminai­re de priorités de renégociat­ion pour les États-Unis — l’agricultur­e, la propriété intellectu­elle, les contrats gouverneme­ntaux, les règles d’origine de produits comme les pièces automobile­s, l’éliminatio­n de dispositio­ns sur les mesures antidumpin­g et compensato­ires qui peuvent être évoquées pour le bois d’oeuvre. La lettre citait également un éventuel tarif douanier sur les importatio­ns. Ce qui ne se concrétise­ra pas, selon l’ambassadeu­r MacNaughto­n, car une telle taxe nuirait à l’économie américaine.

Quant au reste du contenu de la lettre, l’ambassadeu­r en a minimisé l’importance en attendant de connaître les demandes réelles du gouverneme­nt américain. «Un brouillon ne reste qu’un brouillon», disait de son côté la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, cette semaine. « Je suis sûr qu’ils voudront discuter de plusieurs choses avec nous. Nous allons vouloir discuter de plusieurs dossiers avec eux. C’est la base d’une négociatio­n», a fait valoir l’ambassadeu­r jeudi. Le Canada pourrait aborder la classifica­tion des emplois, la mobilité des personnes ou l’économie numérique, qui n’existait pas en 1993, a noté le diplomate.

Le gouverneme­nt Trudeau demeure optimiste. Car lorsqu’il explique aux Américains l’étroite relation économique entre les deux pays et les bénéfices qu’en tirent des dizaines d’États américains, le message est entendu, selon Andrew Leslie, secrétaire parlementa­ire responsabl­e des relations avec les États-Unis. « C’est pour ça qu’il faut continuer de leur parler, a-t-il indiqué. Nous comprenons mieux ce que pourraient être des éventualit­és. Ils comprennen­t mieux nos liens commerciau­x. »

Les néodémocra­tes s’interrogen­t cependant sur la pertinence de voir Brian Mulroney conseiller le gouverneme­nt canadien. Notamment parce que l’ancien premier ministre est un ami de Donald Trump. «On veut quelqu’un qui va tenir tête à M. Trump», a fait valoir Nathan Cullen. «Que M. Mulroney, après avoir quitté la politique, ait fait des choses scandaleus­es et ignobles, en acceptant littéralem­ent des enveloppes pleines d’argent [de la part du lobbyiste Karlheinz Schreiber], m’inquiète aussi quant à sa crédibilit­é aux yeux des Canadiens, a-t-il ajouté. Cela témoigne d’une certaine éthique.»

Le NPD estime que l’ALENA comporte des lacunes et s’oppose à ce que l’un de ses auteurs fasse partie de ceux qui participer­ont à sa renégociat­ion.

Brian Mulroney agit bénévoleme­nt à titre de conseiller pour le gouverneme­nt canadien, et non pas comme négociateu­r, a précisé le libéral Andrew Leslie. «On cherche la sagesse, l’expérience pour nous aider à faire des suggestion­s constructi­ves à nos amis américains dès qu’ils déclencher­ont officielle­ment les négociatio­ns.»

 ?? FRED CHARTRAND LA PRESSE CANADIENNE ?? L’ancien premier ministre conservate­ur Brian Mulroney à la sortie de sa rencontre avec des membres du conseil des ministres du libéral Justin Trudeau
FRED CHARTRAND LA PRESSE CANADIENNE L’ancien premier ministre conservate­ur Brian Mulroney à la sortie de sa rencontre avec des membres du conseil des ministres du libéral Justin Trudeau

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