Pour ou contre le Lab-école?
Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a été pris au dépourvu quand les médias ont dévoilé le nom des trois « vedettes » qui repenseront les écoles québécoises dans le cadre du projet Lab-école: Pierre Lavoie, Ricardo Larrivée et Pierre Thibault. Le tout donnait alors l’impression d’un projet plutôt mal ficelé. Et on peut se demander si ce n’est effectivement pas le cas.
Pour appuyer cette initiative, on a indiqué qu’il était parfois important de «repenser à l’extérieur de la boîte » afin de trouver de nouvelles idées. D’où ma première réflexion: à quoi sert le ministère de l’Éducation s’il n’est plus capable de gérer ou de penser à l’école de demain? Le ministère est-il toujours l’endroit pour innover et faire avancer les choses ?
Ce choix du ministre constitue un clair désaveu du travail des fonctionnaires sous sa gouverne.
Au-delà des activités sportives, de l’alimentation et de l’architecture, il est regrettable toutefois que le ministre Proulx ne s’intéresse pas plus à un élément tout aussi important : le curriculum et l’enseignement. « On ne veut pas changer la vocation [des écoles]. La vocation, c’est d’apprendre. On veut apprendre mieux et apprendre plus.» Très bien, mais où sont les pédagogues et les enseignants dans ce projet ? Et où sont les technologies de l’information, pourtant un incontournable de la réalité d’aujourd’hui?
L’imagination ou l’inexpérience au pouvoir ?
Si on peut être d’accord avec l’idée qu’il faut faire preuve d’imagination quant à l’école québécoise, l’inexpérience de nos «vedettes» du ministre Proulx peut cependant soulever de nombreuses interrogations.
Prenons par exemple quelques idées de Pierre Thibault. L’architecte imagine des cours de yoga la fin de semaine dans le gymnase. Les gymnases de bien des écoles servent déjà à donner des cours la fin de semaine, le sait-il ? Il rêve ensuite d’une bibliothèque scolaire ouverte le soir où le jeune pourra venir avec ses parents. Très bien, mais qui paiera le salaire des employés ? Avec quel budget ?
«L’école doit redevenir le coeur d’une communauté, croit le ministre Proulx. Je ne peux concevoir que, dans certains milieux, on construise des écoles neuves et à côté, on construit aussi une bibliothèque et un centre sportif.» On peut effectivement songer à établir des liens entre les écoles et les municipalités, mais on l’a vu par le passé, cette idée est loin d’être simple.
Une autre idée de M. Thibault est de libérer à jamais l’école de la clôture Frost. Très bien, mais par quel moyen assure-t-on la sécurité des élèves en milieu urbain, par exemple? Comment empêcher le ballon de se rendre dans la rue? Comment empêcher un des élèvres parmi les dizaines sinon les centaines qui sont sous la surveillance des éducateurs de quitter imprudemment la cour de récréation ?
Ce sont davantage les idées de Ricardo Larrivée qui montrent à quel point ce dernier semble ne pas avoir une bonne connaissance de la réalité du réseau scolaire. Celui-ci croit que les élèves devraient se faire à déjeuner à l’école comme ils le font à la maison : «Le pain va être là, le beurre d’arachides, les céréales. » Le beurre d’arachide ? Est-il au courant qu’il existe des allergies alimentaires en milieu scolaire ? Qu’avec le transport scolaire, ou le service de garde certains élèves sont déjà levés au moins une ou deux bonnes heures avant d’arriver à l’école ? « On va leur enseigner ce qui est bon pour la santé et, lorsqu’ils iront en classe, ils auront eu 20 minutes de cours sur l’alimentation du petit-déjeuner.» Qui paiera cette nourriture? Qui enseignera aux jeunes ? Si ce sont les profs, quel cours sera coupé ? Et où mangeront les enfants quand on sait que bien des écoles sont en surpopulation ? Dans leurs classes ?
L’argent dans tout cela?
Si nos trois penseurs croient qu’il en coûtera plus cher pour repenser l’école québécoise mais que le tout en vaudra la peine, ils auront fort à faire pour convaincre le ministre Proulx qui, déjà, annonce qu’on «peut faire mieux avec le même dollar investi. On y mettra ce qu’il faudra, en fonction de notre capacité de payer». Imaginez: on peine à financer des services spécialisés pour les élèves en difficultés.
Il faut aussi repenser au cas de l’école Saint-Gérard, à Montréal, qu’on a dû reconstruire à cause d’un problème de moisissures causé par une gestion négligente et un financement insuffisant au fil des années. En 2015, ce même gouvernement exigeait le retrait des plans originaux d’un atrium central, de la toiture verte, des exigences LEED Argent et de la géothermie. Même l’école devait être plus petite, passant de 6090 à 5300 mètres carrés pour répondre aux demandes du ministère. S’il n’y a que les fous qui ne changent pas d’idée, on cherche la cohérence dans la vision qu’à ce gouvernement élu il y a trois ans. On nage une fois de plus dans l’improvisation.
Il est à se demander finalement si tout ce projet est bien réaliste ou ne constitue pas un autre écran de fumée qui cachera une désolante réalité. Actuellement, on aurait plutôt besoin de véritables états généraux afin de déterminer ce que l’on souhaite vraiment pour nos enfants et d’établir enfin un véritable consensus sur le rôle de l’école québécoise. Pour l’instant, on a davantage l’impression d’être dans de l’éducation-spectacle. Des murs, du pain et des jeux.