Le Devoir

Analogies, rimes riches et autres contrainte­s bénéfiques.

Univers parallèles, le nouvel album de Damien Robitaille.

- SYLVAIN CORMIER

Chez d’autres que Damien Robitaille, ce serait une recette. Un procédé pratique. Un jeu, presque, à la manière d’une ligue d’improvisat­ion, ou un exercice dans un atelier d’écriture. Ainsi y a-t-il sur Univers parallèles, le quatrième album de notre FrancoOnta­rien, plusieurs chansons à thème, dont l’une s’intitule Le fleuve. Ça pourrait ne pas dépasser la figure imposée, la commande. Sur-lethème-du-fleuve-évoquez-le-souhait-d’unelongue-vie-à-deux. Analogie banale en soi. Mais Damien étant Damien, la déclinaiso­n du thème acquiert tendresse et candeur, les images permettent de toucher à la vérité du sentiment.

«Je sais que c’est toute une épreuve / Naviguer sur un si grand fleuve / Prends ma main, c’est turbulent / On va foncer droit devant / La vie est un fleuve qui coule / Je sens le courant qui roule / Filons, filons jusqu’au bout du temps / Là où les rêves se jettent dans l’océan », chante-t-il doucement. La mélodie est prenante, le rythme délicateme­nt soulful, avec des choeurs d’allégeance gospel. Ça saisit le coeur. L’analogie charrie l’émotion. Comme du limon dans les dépôts alluviaux, tiens.

C’est l’approche de Damien Robitaille pour la plupart des chansons d’Univers parallèles, et c’était déjà sa méthode privilégié­e, il y a 12 ans (12 ans, mazette!), quand il sortait de l’École nationale de la chanson et du Festival de la chanson de Granby. Dès Porc-épic, Mètres de mon être, c’était sa voie d’accès privilégié­e. N’empêche qu’il y a une nette évolution dans l’écriture selon Damien: il n’est plus au service de l’analogie, c’est l’analogie qui le sert. La contrainte stylistiqu­e demeure, c’est son style: mais il s’y révèle plus que jamais.

« Il y a une pudeur que j’avais, qui est moins là, constate l’auteur-compositeu­r. Je me cachais un peu derrière l’image et le jeu de mots. Là, je ne peux plus me cacher… » Dans Sortie de secours, on décode tout de suite, dans les « sauve-quipeut » du type prisonnier dans un théâtre en feu, l’impasse, l’enfermemen­t, l’étouffemen­t: il s’agit de trouver une issue à une situation. Parle-til du couple? De sa vie profession­nelle? Qu’importe. Ça s’applique à tout cul-de-sac et toute panique en découlant. «Je cherche un trou dans l’mur / Pour goûter à l’air pur / Pour reprendre mon haleine / Je manque d’oxygène»: l’analogie est parlante. «C’est plus naturel, commente l’intéressé. Entre l’intention et le résultat, il y a moins de perte, j’ai l’impression que tout ce que j’ai fait avant [il désigne la petite pile d’albums que j’ai étalée sur la table du bistro], c’était de l’entraîneme­nt. Et que là, j’ai un meilleur équilibre entre le fond et la forme.»

Langage commun

C’est tout aussi vrai pour les arrangemen­ts. Il y a du naturel et de la rigueur, de l’aisance et du savoir-faire dans le groove qu’ont créé Damien, Carl Bastien, JeanFranço­is Lemieux et les autres musiciens, avec les choristes Marie-Christine Depestre et Dawn Cumberbatc­h, présentes partout. «Avoir Carl Bastien comme réalisateu­r, ça va dans le même sens que l’écriture, pour moi. C’est l’équilibre. C’est quelqu’un qui me connaît. Il habite à côté dans le Vieux-Longueuil, je vais chez lui au moins une fois par semaine, pour parler musique et en faire. J’avais besoin de cette proximité, d’un langage commun, après Omniprésen­t .»

L’expérience de l’album précédent, comprend-on, a été difficile. «C’était un défi, aller chercher un gars de Los Angeles [Laurent «Lone Lebone» Proneur]. Il avait son idée, j’avais la mienne, il y avait toujours une partie lost in translatio­n. Il ne comprenait pas trop la culture québécoise…» Damien n’en dira pas trop, mais la frustratio­n point dans le ton. «J’arrivais en studio, tout était fait, j’étais un peu perdu… »

Ce coup-ci, à l’ère de l’industrie du disque entre cure minceur et mode de survie, un tel projet n’est plus envisageab­le. «Bonne affaire!» s’exclame notre homme. Moins de moyens, moins de temps de studio, il faut répéter plus, arriver prêts, avoir déjà saisi le groove, défini le son. « J’ai compris que, finalement, quand t’es entouré du bon monde, ton monde, c’est ben mieux. La musique, faut que ça devienne une sorte de télépathie. Carl a entendu les tounes dès le début, on a bâti l’album à notre façon, on l’a intégré.» De sorte qu’aux répétition­s, c’était moins un artiste en solo avec ses accompagna­teurs qu’un groupe avec son chanteur. La contrainte, comme pour les textes, peut vraiment être bénéfique. «Ça t’oblige à faire confiance, à écouter, tout le monde veut la même affaire: que ça se passe, que la toune fonctionne. Et là, tout ce que j’entends, les choeurs, la guitare que Joss Tellier est venu faire, ça coule. »

Ça coule de source. Citons encore Le fleuve, l’analogie vaut tout autant pour la création d’un album en groupe que pour la vie à deux: «Je quitte la berge / Et je sens mon âme qui émerge / Poussé par cette force tranquille / Comme si je descendais le Nil / Descendais le Nil». UNIVERS PARALLÈLES Damien Robitaille Audiogram/Sony En spectacle-lancement le 20 avril au Club Soda

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR « J’ai compris que, finalement, quand t’es entouré du bon monde, ton monde, c’est ben mieux», constate Damien Robitaille.
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