› Une théorie de l’horreur au féminin.
Entretien avec Kier-La Janisse
«Enfant, je ne remarquais pas à quel point plusieurs films d’horreur étaient misogynes, parce que c’était systématique. » Cette confidence émane de Kier-La Janisse, auteure de l’ouvrage House of Psychotic Women et directrice artistique du Monster Fest de Melbourne. Malgré ce constat, la principale intéressée continue de se passionner pour le cinéma d’épouvante. Avec elle, on discute de l’avènement d’une nouvelle vague de réalisatrices qui prennent les commandes d’un genre où la femme fut longtemps objet qu’on reluque puis terrorise.
De fait, le cinéma d’horreur entretient une relation amourhaine avec la femme. Elle y est tour à tour victime torturée et survivante qui triomphe. En introduction de son ouvrage Recreational Terror: Women and the Pleasures of Horror Film Viewing, la professeure Isabel Pinedo résume parfaitement ce paradoxe.
«Je suis une féministe et une amatrice avide de films d’horreur, une combinaison qui pourra être perçue comme un oxymoron», écrit-elle.
Elle aussi une «amatrice avide», Kier-La Janisse explique n’éprouver aucune difficulté à replacer chaque oeuvre dans son contexte historique. Elle n’en pense toutefois pas moins.
« Je remarque à présent l’aspect misogyne des films, quoique je sois étrangement clémente envers les plus anciens. Je ne les juge pas de la même manière et j’arrive à les apprécier malgré leur sexisme. Mais à un certain point, j’ai commencé à observer comment les femmes y sont traitées en lien direct avec leurs comportements, puis à m’interroger sur le genre de commentaires moraux qui étaient ainsi formulés au sujet de ces femmes. »
L’attrait du genre
Quiconque fréquente le genre le sait, c’est souvent un personnage féminin qui s’en sort à la fin après avoir eu raison du tueur ou du monstre. On pense ici à la «final girl» des « slashers », cette survivante ultime des films de massacre en série mise en théorie par la professeure Carol J. Clover et qui, de Massacre à la tronçonneuse à Vendredi 13 en passant par Halloween, leurs ersatz et leurs remakes, est une figure dominante depuis plus de 40 ans. Ripley, dans Alien, un « slasher » dans l’espace, est une « final girl ».
«Le fait est que l’horreur a toujours été un genre plus accueillant pour les rôles féminins forts, estime Kier-La Janisse. Qu’on observe en ce moment un accroissement notable des femmes dans le milieu de l’horreur, plus que dans tout autre genre, n’est pas surprenant. Par ailleurs, depuis un an, de nombreux organismes de financement ont mis l’accent sur l’enjeu de la sousreprésentation des femmes dans les postes créatifs clés en cinéma. De nouveaux programmes de financement sont apparus un peu partout dans le monde afin d’offrir davantage d’occasions aux femmes de raconter leurs histoires. Hélas, Hollywood n’a toujours pas entendu le message. »
Changer la donne
Il est trop tôt pour évoquer un changement de paradigme. Cela dit, une première masse critique de films d’horreur écrits et réalisés par des femmes qui se voient célébrés par les festivals et les fans a été atteinte.
«Je pense que des hommes scénaristes et réalisateurs peuvent créer des personnages féminins formidables aux prises avec des enjeux exclusivement féminins comme les menstruations ou la maternité, précise Kier-La Janisse. Là où je crois que l’impact des femmes se fait le plus sentir dans le genre, c’est dans la description des agressions sexuelles et des comportements de prédation avec lesquels nous sommes aux prises quotidiennement, et auxquels les hommes ne pensent même pas. Je suis d’avis que les femmes cinéastes changent la donne, et il était temps. »