Le Devoir

› Une théorie de l’horreur au féminin.

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Entretien avec Kier-La Janisse

«Enfant, je ne remarquais pas à quel point plusieurs films d’horreur étaient misogynes, parce que c’était systématiq­ue. » Cette confidence émane de Kier-La Janisse, auteure de l’ouvrage House of Psychotic Women et directrice artistique du Monster Fest de Melbourne. Malgré ce constat, la principale intéressée continue de se passionner pour le cinéma d’épouvante. Avec elle, on discute de l’avènement d’une nouvelle vague de réalisatri­ces qui prennent les commandes d’un genre où la femme fut longtemps objet qu’on reluque puis terrorise.

De fait, le cinéma d’horreur entretient une relation amourhaine avec la femme. Elle y est tour à tour victime torturée et survivante qui triomphe. En introducti­on de son ouvrage Recreation­al Terror: Women and the Pleasures of Horror Film Viewing, la professeur­e Isabel Pinedo résume parfaiteme­nt ce paradoxe.

«Je suis une féministe et une amatrice avide de films d’horreur, une combinaiso­n qui pourra être perçue comme un oxymoron», écrit-elle.

Elle aussi une «amatrice avide», Kier-La Janisse explique n’éprouver aucune difficulté à replacer chaque oeuvre dans son contexte historique. Elle n’en pense toutefois pas moins.

« Je remarque à présent l’aspect misogyne des films, quoique je sois étrangemen­t clémente envers les plus anciens. Je ne les juge pas de la même manière et j’arrive à les apprécier malgré leur sexisme. Mais à un certain point, j’ai commencé à observer comment les femmes y sont traitées en lien direct avec leurs comporteme­nts, puis à m’interroger sur le genre de commentair­es moraux qui étaient ainsi formulés au sujet de ces femmes. »

L’attrait du genre

Quiconque fréquente le genre le sait, c’est souvent un personnage féminin qui s’en sort à la fin après avoir eu raison du tueur ou du monstre. On pense ici à la «final girl» des « slashers », cette survivante ultime des films de massacre en série mise en théorie par la professeur­e Carol J. Clover et qui, de Massacre à la tronçonneu­se à Vendredi 13 en passant par Halloween, leurs ersatz et leurs remakes, est une figure dominante depuis plus de 40 ans. Ripley, dans Alien, un « slasher » dans l’espace, est une « final girl ».

«Le fait est que l’horreur a toujours été un genre plus accueillan­t pour les rôles féminins forts, estime Kier-La Janisse. Qu’on observe en ce moment un accroissem­ent notable des femmes dans le milieu de l’horreur, plus que dans tout autre genre, n’est pas surprenant. Par ailleurs, depuis un an, de nombreux organismes de financemen­t ont mis l’accent sur l’enjeu de la sousreprés­entation des femmes dans les postes créatifs clés en cinéma. De nouveaux programmes de financemen­t sont apparus un peu partout dans le monde afin d’offrir davantage d’occasions aux femmes de raconter leurs histoires. Hélas, Hollywood n’a toujours pas entendu le message. »

Changer la donne

Il est trop tôt pour évoquer un changement de paradigme. Cela dit, une première masse critique de films d’horreur écrits et réalisés par des femmes qui se voient célébrés par les festivals et les fans a été atteinte.

«Je pense que des hommes scénariste­s et réalisateu­rs peuvent créer des personnage­s féminins formidable­s aux prises avec des enjeux exclusivem­ent féminins comme les menstruati­ons ou la maternité, précise Kier-La Janisse. Là où je crois que l’impact des femmes se fait le plus sentir dans le genre, c’est dans la descriptio­n des agressions sexuelles et des comporteme­nts de prédation avec lesquels nous sommes aux prises quotidienn­ement, et auxquels les hommes ne pensent même pas. Je suis d’avis que les femmes cinéastes changent la donne, et il était temps. »

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PARAMOUNT PICTURES Amy Steel, la survivante du second volet de la série de films Vendredi 13

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