Le Devoir

Trop tard, la nouvelle Politique culturelle ?

Un rendez-vous serait déjà manqué par décalage avec le cycle de subvention­s du CALQ

- CATHERINE LALONDE

Pourquoi les artistes réagissent-ils si virulemmen­t au dernier budget Leitão, qui n’a pas octroyé d’argent frais au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ)? Parce que la nouvelle politique du ministère de la Culture (MCC), prévue à l’automne, ne pourra enrichir les subvention­s au fonctionne­ment du CALQ avant 2021. Car il y a décalage avec le cycle de ces subvention­s, les plus structuran­tes pour les organismes québécois, accordées tous les quatre ans, et qui seront verrouillé­es dès juillet. Regard sur ce qui a toutes les apparences d’un rendez-vous manqué.

Les subvention­s à la mission du CALQ seront figées pour quatre ans avant l’adoption de la nouvelle Politique culturelle du Québec. L’arrimage semble déjà raté. « C’est complèteme­nt choquant que le MCC ait reporté l’échéance de sa nouvelle Politique culturelle, s’indigne David Lavoie, coprésiden­t du Conseil québécois du théâtre (CQT) et codirecteu­r général du Festival TransAméri­ques. On avait l’impression, comme artistes et organismes, d’avoir été entendus et compris lors de la consultati­on publique à ce sujet… mais c’était si une livraison concrète se faisait dès maintenant, au moment d’aller chercher le renouvelle­ment du soutien pluriannue­l! Pour la recherche et

la création, actuelleme­nt, eh boy, ça n’a pas d’allure comme c’est tough .»

Pauvre relève

Le ministre Luc Fortin a reçu avec beaucoup d’enthousias­me le budget, rapporte son attaché de presse, Karl Fillion, «car il confirme l’engagement du gouverneme­nt à soutenir la culture et les créateurs, et confirme ce que nous répétons souvent: la culture, c’est un investisse­ment, pas une dépense. C’est le budget le plus élevé en matière de culture de l’histoire du Québec. Le ministre est particuliè­rement fier que la mesure des 5 millions de dollars versés au CALQ l’an dernier de manière ponctuelle pour soutenir la création jeunesse en culture soit devenue cette année des crédits récurrents. Les jeunes sont les consommate­urs de culture de demain ».

Le CQT a plutôt démontré pour son propre secteur une chute continue. Les subvention­s aux organismes de production théâtrale, Conseil des arts de Montréal, CALQ et Conseils des arts du Canada confondus, ont baissé de 28 millions en 2000-2001 à 24,5 millions en 2014-2015, en dollars constants.

Cent quinze organismes de production théâtrale ont été subvention­nés au fonctionne­ment et par projet en 20142015, soit seulement un de plus qu’en 2000-2001. Pas de place donc pour assurer un minimum de stabilité aux nouvelles compagnies. «Il y a de la relève qui pousse derrière nous — et c’est normal, c’est le cycle de la vie ! —, derrière toutes ces compagnies qui sont gérées par des soixantena­ires comme moi, indique la metteure en scène Brigitte Haentjens, l’autre tête présidenti­elle du CQT. C’est la loi immuable des plus jeunes qui poussent les plus vieux; et c’est essentiel pour que la création se renouvelle. Les artistes arrivent à 40 ans, et même à maturité, ils n’ont pas les moyens de se développer véritablem­ent dans des cadres qui permettent l’excellence.»

«Il

y a de la relève qui pousse derrière nous — et c’est normal, c’est le cycle de la vie ! —, derrière toutes ces compagnies qui sont gérées par des soixantena­ires comme moi La metteure en scène Brigitte Haentjens

L’enjeu des uns, l’enjeu des autres

Le CQT suit donc le Mouvement pour les arts et les lettres (MAL) et demande un budget du CALQ à 135 millions de dollars. On peut imaginer qu’au printemps 2018, à quelques mois des élections, se feront des annonces électorali­stes, prédit M. Lavoie. «Mais elles seront forcément à l’extérieur du processus du CALQ, à moins qu’on refasse les jurys de pairs, ce qui serait du jamais vu, et contre-productif. Il doit y avoir de façon urgente une bonificati­on d’enveloppes. Le CALQ a une mission à l’intérieur de celle du MCC, plus précise: celle de soutenir la chaîne de création, production et diffusion; une mission qui n’est pas pour l’instant l’enjeu du ministère, qui lui se concentre sur la relation de l’art au citoyen. L’enjeu pressant pour nous, c’est le soutien à la création. »

Clarifions: le CALQ a refondé ses programmes, et les subvention­s de fonctionne­ment sont remplacées pour la première fois cette année par une subvention à la mission, renouvelab­le tous les quatre ans après évaluation par un jury de pairs, et par une subvention à la programmat­ion qui peut être demandée en tout temps.

Les fonds alloués là permettent, concrèteme­nt, de payer loyer, salaires, frais courants, studios de répétition, etc. Bref, tout le trivial qui permet à un artiste de pouvoir entrer dans une salle et de créer. Mais comme le budget du CALQ stagne depuis quelques années, sans réinvestis­sements notables, le nombre d’organismes qui peuvent recevoir cette aide plafonne également.

En 2015-2016, 560 organismes, toutes discipline­s confondues, en avaient bénéficié. La subvention moyenne accordée était de 138 392 $ par année. Pas d’excès là pour faire rouler une compagnie, même toute petite.

Faudra-t-il attendre 2021 pour peut-être voir de nouveaux sous à la création? « On nous dit qu’il pourrait y avoir des ajustement­s à court terme. C’est ce qu’on aimerait, concluent les porte-paroles du CQT, trouver des solutions maintenant avec le politique, pour que cet été, déjà, l’avenir puisse nous apparaître meilleur. »

Du côté du cabinet, Karl Fillion, attaché de presse de Luc Fortin, a répondu que puisque «la dernière Politique [culturelle] date d’il y a 25 ans, il s’agit d’un exercice qui se fait en dehors des processus normaux de révision [du CALQ]. Il n’est pas exclu que les programmes soient bonifiés à la suite du dépôt de la Politique culturelle».

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