Trop tard, la nouvelle Politique culturelle ?
Un rendez-vous serait déjà manqué par décalage avec le cycle de subventions du CALQ
Pourquoi les artistes réagissent-ils si virulemment au dernier budget Leitão, qui n’a pas octroyé d’argent frais au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ)? Parce que la nouvelle politique du ministère de la Culture (MCC), prévue à l’automne, ne pourra enrichir les subventions au fonctionnement du CALQ avant 2021. Car il y a décalage avec le cycle de ces subventions, les plus structurantes pour les organismes québécois, accordées tous les quatre ans, et qui seront verrouillées dès juillet. Regard sur ce qui a toutes les apparences d’un rendez-vous manqué.
Les subventions à la mission du CALQ seront figées pour quatre ans avant l’adoption de la nouvelle Politique culturelle du Québec. L’arrimage semble déjà raté. « C’est complètement choquant que le MCC ait reporté l’échéance de sa nouvelle Politique culturelle, s’indigne David Lavoie, coprésident du Conseil québécois du théâtre (CQT) et codirecteur général du Festival TransAmériques. On avait l’impression, comme artistes et organismes, d’avoir été entendus et compris lors de la consultation publique à ce sujet… mais c’était si une livraison concrète se faisait dès maintenant, au moment d’aller chercher le renouvellement du soutien pluriannuel! Pour la recherche et
la création, actuellement, eh boy, ça n’a pas d’allure comme c’est tough .»
Pauvre relève
Le ministre Luc Fortin a reçu avec beaucoup d’enthousiasme le budget, rapporte son attaché de presse, Karl Fillion, «car il confirme l’engagement du gouvernement à soutenir la culture et les créateurs, et confirme ce que nous répétons souvent: la culture, c’est un investissement, pas une dépense. C’est le budget le plus élevé en matière de culture de l’histoire du Québec. Le ministre est particulièrement fier que la mesure des 5 millions de dollars versés au CALQ l’an dernier de manière ponctuelle pour soutenir la création jeunesse en culture soit devenue cette année des crédits récurrents. Les jeunes sont les consommateurs de culture de demain ».
Le CQT a plutôt démontré pour son propre secteur une chute continue. Les subventions aux organismes de production théâtrale, Conseil des arts de Montréal, CALQ et Conseils des arts du Canada confondus, ont baissé de 28 millions en 2000-2001 à 24,5 millions en 2014-2015, en dollars constants.
Cent quinze organismes de production théâtrale ont été subventionnés au fonctionnement et par projet en 20142015, soit seulement un de plus qu’en 2000-2001. Pas de place donc pour assurer un minimum de stabilité aux nouvelles compagnies. «Il y a de la relève qui pousse derrière nous — et c’est normal, c’est le cycle de la vie ! —, derrière toutes ces compagnies qui sont gérées par des soixantenaires comme moi, indique la metteure en scène Brigitte Haentjens, l’autre tête présidentielle du CQT. C’est la loi immuable des plus jeunes qui poussent les plus vieux; et c’est essentiel pour que la création se renouvelle. Les artistes arrivent à 40 ans, et même à maturité, ils n’ont pas les moyens de se développer véritablement dans des cadres qui permettent l’excellence.»
«Il
y a de la relève qui pousse derrière nous — et c’est normal, c’est le cycle de la vie ! —, derrière toutes ces compagnies qui sont gérées par des soixantenaires comme moi La metteure en scène Brigitte Haentjens
L’enjeu des uns, l’enjeu des autres
Le CQT suit donc le Mouvement pour les arts et les lettres (MAL) et demande un budget du CALQ à 135 millions de dollars. On peut imaginer qu’au printemps 2018, à quelques mois des élections, se feront des annonces électoralistes, prédit M. Lavoie. «Mais elles seront forcément à l’extérieur du processus du CALQ, à moins qu’on refasse les jurys de pairs, ce qui serait du jamais vu, et contre-productif. Il doit y avoir de façon urgente une bonification d’enveloppes. Le CALQ a une mission à l’intérieur de celle du MCC, plus précise: celle de soutenir la chaîne de création, production et diffusion; une mission qui n’est pas pour l’instant l’enjeu du ministère, qui lui se concentre sur la relation de l’art au citoyen. L’enjeu pressant pour nous, c’est le soutien à la création. »
Clarifions: le CALQ a refondé ses programmes, et les subventions de fonctionnement sont remplacées pour la première fois cette année par une subvention à la mission, renouvelable tous les quatre ans après évaluation par un jury de pairs, et par une subvention à la programmation qui peut être demandée en tout temps.
Les fonds alloués là permettent, concrètement, de payer loyer, salaires, frais courants, studios de répétition, etc. Bref, tout le trivial qui permet à un artiste de pouvoir entrer dans une salle et de créer. Mais comme le budget du CALQ stagne depuis quelques années, sans réinvestissements notables, le nombre d’organismes qui peuvent recevoir cette aide plafonne également.
En 2015-2016, 560 organismes, toutes disciplines confondues, en avaient bénéficié. La subvention moyenne accordée était de 138 392 $ par année. Pas d’excès là pour faire rouler une compagnie, même toute petite.
Faudra-t-il attendre 2021 pour peut-être voir de nouveaux sous à la création? « On nous dit qu’il pourrait y avoir des ajustements à court terme. C’est ce qu’on aimerait, concluent les porte-paroles du CQT, trouver des solutions maintenant avec le politique, pour que cet été, déjà, l’avenir puisse nous apparaître meilleur. »
Du côté du cabinet, Karl Fillion, attaché de presse de Luc Fortin, a répondu que puisque «la dernière Politique [culturelle] date d’il y a 25 ans, il s’agit d’un exercice qui se fait en dehors des processus normaux de révision [du CALQ]. Il n’est pas exclu que les programmes soient bonifiés à la suite du dépôt de la Politique culturelle».