Le Devoir

La sociologue, l’ourson et le mariage gai

La sociologue Irène Théry explique ses positions à son fils cinéaste. Pour rendre ces enjeux plus compréhens­ibles, ce dernier recourt à un théâtre de marionnett­es.

- CAROLINE MONTPETIT

Lorsqu’elle a accepté de répondre aux questions de son fils Mathias au sujet du débat sur le mariage gai en France, la sociologue française Irène Théry ne savait pas qu’elle allait se transforme­r en mère ourse à l’écran. En fait, ça n’est qu’une fois le film de son fils fini qu’elle a réalisé qu’il avait intégré à son documentai­re tout un théâtre de marionnett­es.

À ce chapitre, le film La sociologue et l’ourson, de Mathias Théry et d’Étienne Chaillou, est franchemen­t innovateur et arrive avec adresse à mêler documentai­re, récit personnel et théâtre de marionnett­es.

En tournée à Montréal avec sa mère, Mathias Théry raconte qu’il n’avait aucune idée de l’ampleur que le débat sur le mariage gai allait prendre en France lorsqu’il a eu l’idée de tourner ce film. Ce n’est qu’en cours de route que les manifestat­ions contre le projet de loi se sont enflammées au point de diviser le pays en deux clans.

Donc, en plus d’avoir utilisé des marionnett­es pour personnifi­er la sociologue Théry et son ourson de fils, les cinéastes ont mis en marionnett­es les grands acteurs du débat, dont le président français François Hollande et la meneuse des opposants au projet de loi légalisant le mariage gai, surnommée Frigide Barjo. Tout ce beau monde prête sa voix aux marionnett­es animées qui jouent leur rôle. Le documentai­re utilise également des extraits filmés des manifestat­ions et des entretiens.

Filiation

Les cinéastes ont aussi utilisé le téléphone pour faire leurs entretiens.

« Lorsqu’on fait des entrevues à la caméra, il faut faire beaucoup de tests avant que la personne trouve son ton naturel», raconte Étienne Chaillou. Or, au téléphone, et particuliè­rement sans doute lorsqu’elle parle à son fils, la sociologue perd son ton professora­l. Entre les conversati­ons, on voit d’ailleurs la mère ourse en train de mettre une tarte au four, ou encore au lit, tâchant de ne pas réveiller son mari. «Il m’arrive aussi de faire des tartes», dit Irène Thér y en riant.

Il faut dire qu’Irène Théry connaît bien son sujet. Sociologue de la famille, elle travaille depuis déjà de nombreuses années à la reconnaiss­ance des droits des homosexuel­s. Elle a aussi défendu avec ferveur les mariages pour les couples de même sexe auprès du président Hollande. Elle était pour la légalisati­on de la procréatio­n médicaleme­nt assistée pour les couples de même sexe, ainsi que pour la gestation pour autrui.

Or, plus encore que sur la notion de couple, c’est sur la filiation que le débat français a explosé. Le projet de loi, qui a finalement été adopté après neuf mois de tumulte, permet l’adoption d’enfant par les personnes de même sexe, mais ne va pas plus loin.

En demandant à Irène Thér y : «Maman, comment on fait les enfants?», le cinéaste engage une longue conversati­on sur le sens du mariage, ainsi que sur les démarches poursuivie­s à travers l’histoire pour les couples qui avaient du mal à avoir des enfants. La sociologue plonge alors dans sa propre histoire et raconte celle de son arrière-grand-mère, mise enceinte hors mariage, et dont l’enfant, comme c’était le cas des « bâtards » de l’époque, en a porté les stigmates toute sa vie.

D’autres fomes

Avec les années 1960, l’institutio­n du mariage perd de son lustre auprès des jeunes. Mais pendant tout ce temps, les homosexuel­s continuent de se fréquenter hors mariage, souvent même après avoir fait des enfants à l’intérieur d’un couple hétérosexu­el. Plus tard, lorsque l’homosexual­ité s’est libéralisé­e, plusieurs homosexuel­s se sont sentis obligés de renoncer au rêve d’avoir des enfants.

Neuf mois de débats plus tard, donc, le mariage gai a finalement été légalisé en France, ainsi que les adoptions d’enfant qui en découlent. Mais on ressent quand même une amertume lorsqu’on entend certains couples gais français dire qu’ils n’avaient jamais vécu l’homophobie en France avant ce débat houleux pour la légalisati­on du mariage.

Mathias Théry et Étienne Chaillou ne sont pour leur part pas au bout de leurs inventions. Ils préparent présenteme­nt un film qui propose un portrait d’un militant de l’extrême droite française. « Nous avons d’autres idées de formes, disent-ils, mais nous sommes en train de les inventer.»

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Mathias Théry en compagnie de sa mère, la sociologue Irène Théry, et Étienne Chaillou

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