Un doute raisonnable
HAMLET_DIRECTOR’S CUT Texte: William Shakespeare, dans une traduction de JeanMarc Dalpé. Mise en scène et adaptation: Marc Beaupré et François Blouin. Une présentation de Terre des Hommes. Au théâtre La Chapelle jusqu’au 15 avril, avec des supplémentaires.
Jeune homme mélancolique par excellence, Hamlet s’ajoute aux ténébreux personnages que Marc Beaupré s’amuse à déconstruire et rebâtir avec intelligence. Après Caligula et Dom Juan, le metteur en scène revisite le célèbre prince aux humeurs noires imaginé par Shakespeare. En collaboration avec le créateur de contenu virtuel François Blouin ainsi que deux programmeurs, Beaupré déploie sur scène un étonnant dispositif. En plus de rendre visibles les ombres de l’esprit d’Hamlet, il dépeint avec délicatesse les troubles du personnage.
Dans un épisode crucial de la pièce de Shakespeare, Hamlet demande à une troupe de théâtre de jouer le meurtre de son père devant son oncle, qu’il suspecte d’en être le meurtrier. Il use de l’art de la représentation pour faire réagir le nouveau roi et que la vérité ainsi se révèle. Dans Hamlet_director’s cut, le personnage mélancolique emploie la même stratégie, mais pour la retourner contre lui-même tout au long du spectacle.
Seul en scène, Beaupré interprète Hamlet, ainsi que tous les personnages de la pièce que le jeune prince s’imagine. Les poses, attitudes et gestes que l’acteur adopte selon une par tition précise sont captés en clair-obscur, puis projetés sous forme de silhouettes. Un écran translucide dressé devant l’interprète et des pendrillons suspendus derrière lui servent de surface de projection pour peupler la scène de spectres. Étrangement, cette proposition impressionne davantage dans les «espaces négatifs» qu’elle aménage. Dans les moments où les projections disparaissent, la déroute et la solitude du personnage se ressentent alors comme totales.
Dans leur adaptation, Beaupré et Blouin semblent se nourrir des différentes interprétations et analyses du texte qui ont pu se formuler au fil des siècles qui nous séparent de la création de la pièce. Le travail dramaturgique des deux metteurs en scène est réinvesti avec justesse dans la construction de l’intériorité du personnage. C’est pourquoi j’ai espoir — mais sans en être persuadée — que des oreilles non initiées auront du plaisir à découvrir ce redécoupage.
Car si Hamlet_director’s cut est un solo prononcé par un personnage complexe, il y manque quelques clés pour comprendre entièrement le passé et les anxiétés du personnage. Cependant, la détresse d’Hamlet n’en est pas moins touchante, belle. Au reste, qu’il subsiste une part insaisissable au récit prolonge probablement le sujet de la pièce. Par le doute, Hamlet reste toujours en tension avec ce qu’il y a d’inconnu en lui-même, et c’est peut-être cette vérité que le spectacle, lui, cherche à faire apparaître. Même en essayant de la capter, de la diffuser, de l’imager, une part de soi échappe nécessairement à la compréhension. Et pour se le rappeler, il y aurait un doute à entretenir, peut-être.