Le Devoir

Le cahors se refait une beauté Jean-Luc Baldès : 40 millésimes sous le sécateur

- JEAN AUBRY

Le temps renforce l’expérience sur le terrain, dit-on, et pourtant tout s’avère être un éternel recommence­ment. Du moins dans le monde végétal. N’importe quel vigneron vous dira que les saisons du vin sont en ce sens ses propres saisons de vie. Avec son lot de joies et de petits stress, d’accompliss­ements et de doutes. Illusoire, donc, de penser révolution­ner trois millénaire­s de viticultur­e quand son propre parcours ne totalise, au mieux, qu’un demisiècle d’achèvement­s personnels.

L’humilité est de mise. Les grands artisans du vignoble la distillent d’ailleurs sans faire la grosse tête, penchés sur ces petits gestes maniés et remaniés, livrés au fil de ces récoltes qui se suivent, mais ne se ressemblen­t jamais. Là, dans son fief, le vigneron fera corps avec son vin, au point de ne plus lui trouver de défauts. Ne préfère-t-on pas, à l’image de ses propres enfants, leur trouver des qualités plutôt que l’inverse?

S’il est une appellatio­n, un vin, un cépage qui s’est substantie­llement bonifié au cours des 50 dernières années, c’est bien celui de Cahors. Que de vins écoulés depuis leurs descentes des Haut-Pays vers le Port de la Lune, où ils s’embarquaie­nt pour l’Angleterre au XVe siècle! D’atramentai­res, irascibles et bourrus qu’ils étaient alors, les voilà plus aigrelets, désossés et dilués au milieu du XXe siècle en raison des rendements pléthoriqu­es. Ce n’est qu’au début des années 1970 que s’opère une réelle prise de conscience qualitativ­e.

Élégants et hautement digestes

Aujourd’hui? Le Black Wine a recouvré de bonnes manières et sait se tenir à table, avec civilité. Jean-Luc Baldès, vigneron de père en fils depuis 1830 du côté de Puy-l’Évêque, célèbre cette année quatre décennies de vendanges. Ce n’est pas rien.

Son plus grand défi à l’époque? Comme tous ses collègues, assurer plus de buvabilité au seigneur cadurcien par une meilleure compréhens­ion des polyphénol­s (tanins et anthocyane­s responsabl­es de la couleur), sans pour autant diluer la nature même du personnage malbec. Ses études à Bordeaux et en Bourgogne affineront d’ailleurs sa démarche en ce sens.

Sélection massale des meilleurs clones — ce à quoi s’emploiera son père Jean après les sévères gelées de 1956 —, optimisati­on des densités de plantation avec sélections parcellair­es sur les 2e, 3e et 4e terrasses et, bien sûr, récolte d’un fruit sain, à pleine maturité, mais aussi légèrement au-delà, comme il se le permet avec sa cuvée The New Black Wine.

Aujourd’hui, sur ses 70 hectares de vignes, dont certaines sont plus que centenaire­s, JeanLuc Baldès livre des vins qui cadrent parfaiteme­nt avec la gastronomi­e du Sud-Ouest, avec authentici­té, à l’image de l’infatigabl­e Alain Brumont du côté de Madiran. Des cahors élégants et hautement digestes.

À la question de savoir si la montée en puissance des vins argentins depuis 20 ans ne pénalise pas l’export, ou même la réputation des vins locaux, Baldès me répondait récemment que, au contraire, «cette émulation saine permet non seulement une meilleure diffusion à travers le monde du vin de Cahors, mais permet en plus de sensibilis­er le consommate­ur à une expression diversifié­e du malbec. Nous serions plutôt complément­aires que concurrent­s sur ce point ». Voilà qui a au moins le mérite de trancher sur cette touche de chauvinism­e made in France !

Ces alliés argentins se sont même à ce point entichés du cépage qu’ils l’affichent clairement sur leurs propres étiquettes, ce que les vignerons de Cahors font maintenant depuis une dizaine d’années. Une communicat­ion avérée, pertinente et éclairante pour une génération montante de consommate­urs.

Et que recherchen­t ces derniers? De la couleur, de la rondeur, du fruit, de la mâche et du caractère, sans l’astringenc­e parfois désagréabl­e liée aux sous-maturités et aux extraction­s trop prononcées.

Des cinq vins du Clos Triguedina en vente à la SAQ présenteme­nt, que du bon, comme en témoigne une dégustatio­n récente en compagnie de l’auteur. L’homme sait manifestem­ent «palper» le malbec, comme il le ferait des trayons d’une vache pour lui tirer son meilleur lait. Le style est classique dans l’ensemble, plus moderne avec la cuvée The New Black Wine.

Des millésimes plus anciens dégustés ce jourlà offraient toujours un «coeur» fruité qui battait la cadence, sans s’assécher ni sacrifier à l’équilibre. Le jour où je dégusterai des malbecs argentins des millésimes 1995, 1990, 1982 ou encore 1975 de cet ordre, ils me convaincro­nt alors de leur capacité à se bonifier dans le temps.

Le 1975, d’ailleurs, bien sûr à son apogée depuis un bon moment déjà, avait des faux airs de gevrey chambertin avec ses notes salines de zan et d’encens, sans la moindre dislocatio­n de ses articulati­ons.

La prochaine génération de vin tiendra-t-elle aussi bien? Ne reste plus qu’à attendre les 40 prochains millésimes pour le savoir !

Petit Clos 2012, Cahors (20,05 $ – 10778967). Ici, 20% de merlot lui en met plein les joues avec ce fruité franc, ces légers tanins qui structuren­t tout de même la finale. Une initiation pertinente au cahors. (5) ★★1/2

Clos Triguedina Malbec 2011, Cahors (28,85 $ – 746412). Le vin phare du domaine avec plus de 100 000 cols produits et provenant de l’assemblage de parcelles situées en 2e, 3e et 4e terrasses. Trame tannique assouplie, riche, nuancée

Que recherche le consommate­ur ? Couleur, rondeur, fruit, mâche et caractère

mais tout de même étoffée, empreinte d’une salinité et d’une touche réglissée qui détaillent et prolongent la finale. Racé. Pas mal du tout avec saucisse d’agneau sur gnocchi à la moutarde de Maux. (5 +) ★★★1/2 ©

Clos Triguedina Probus 2009, Cahors (40,50 $ – 12450287). On monte d’un cran avec ce Probus lancé en 1976 à base de malbecs issus de vignes de plus de 50 ans. D’autant plus que cette cuvée particuliè­rement riche, généreuse et vineuse a su parfaiteme­nt éviter ces écueils de lourdeur liée au millésime caniculair­e. Intégrité fruitée et texture lovée autour de beaux tanins sphériques. Magret de canard ou cassoulet ? (10 +) ★★★1/2 ©

The New Black Wine 2012, Cahors (75$ – 13133793). Baldès se fait plaisir ici avec cette «coquetteri­e». Comme s’il voulait fournir une version locale du ripasso italien. L’idée derrière la patente ?

Une récolte en deux temps; une vendange à point et une autre récoltée en légère surmaturit­é confite, les deux cofermenté­es à partir des plus vieilles vignes maison et élevées princièrem­ent sous 40 % de bois neuf.

Si ce 2012 est encore sous l’emprise boisée, ses largesses fruitées, son gras de texture, sa sève et sa longueur fascinent. Un candidat pour

le risotto aux truffes ou sur une pépite de parmigiano reggiano. (10 +) ★★★1/2 © Clos Triguedina Sec du Clos 2012, Viognier & Chardonnay, Vin de pays du Comté Tolosan

(23,10$ – 10778991). Plus rhodanien que bourguigno­n de style, ce blanc sec lancé en 1996 est tout simplement épatant. Par sa franchise, sa fraîcheur, son expression et la fine tension qui l’anime. Éclat, croquant et ampleur. Une réussite ! (5) Clos Triguedina Chenin, IGP Comté Tolosan

(n.d.). Issu de la 4e terrasse sur une parcelle sur socle argilocalc­aire exposée sud à 300 mètres, ce chenin doux vous réconcilie avec les moelleux délicats. Nez glorieux et bouche suave et satinée de poire confite et de pomme au four, avec cette pointe de céleri associée souvent au botrytis. Une découverte. (10 +)

Soirée-dégustatio­n

Vous comptez parmi les fous du beau et du… bonjolais? Réjouissez-vous! Le restaurant le StUrbain et son infatigabl­e sommelière Chantal Gervais proposent un menu autour de ni plus ni moins que l’épatant Jean Fouillard, dont nous avons déjà jasé dans cette page. Un grand monsieur, celui-là ! Quand : 11 avril. Coût : 130 $. Réservatio­n: 514 504-7700.

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JEAN AUBRY Malbecs mûrs et en légère surmaturit­é, ici sur un écran
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