Le Devoir

Un docteur pas ordinaire qui se bat contre le cancer du système

- cherejoblo@ledevoir.com Twitter : @cherejoblo Le Dr Laurent Schwartz donnait une conférence cette semaine à l’invitation de l’OSBL Croquer la vie (croquerlav­ie.ca), de même qu’au Laboratoir­e de génie métaboliqu­e appliqué de Polytechni­que Montréal. JOSÉE

I«Pour ma part, je n’ai jamais cru à la théorie du complot. En revanche, je crois au conformism­e, au conservati­sme et, plus encore, à la bêtise paralysant­e de l’individu, à l’entêtement et à l’absence de remise en question d’un dogme que tous savaient faux.»

Le Dr Laurent Schwartz «Vous voulez que je sois un Dieu Si vous saviez comme je me sens vieux Je peux pu dormir, chu trop nerveux Quand je chante, ça va un peu mieux Mais ce métier-là, c’est dangereux Plus on en donne, plus le monde en veut» Robert Charlebois, Ordinaire

l ne veut pas que je lui donne du « docteur » ni du « courageux ». Et chez lui, en France, on dit encore «cancérolog­ue» alors que chez nous, on a préféré se référer à la racine grecque «onco» (tumeur), qui fait moins peur mais glace toujours les globules rouges. J’ai devant moi un scientifiq­ue, un homme réfléchiss­ant à l’extérieur des cadres et une tête forte qui a donné sa vie pour que la vérité voie le jour : «La mortalité des cancers chez les adultes n’a à peu près pas diminué depuis 60 ans — 0,5 % — si on tient compte du vieillisse­ment et de l’accroissem­ent de la population! Les avancées thérapeuti­ques ne sont pas à la hauteur.» Bang.

Depuis son diplôme en radio-oncologie obtenu à Harvard il y a plus de 30 ans, le Dr Schwartz junior — fils du doyen de la Faculté de médecine de Strasbourg — n’a pas chômé.

Mais il s’est rapidement rendu compte du peu de succès des traitement­s proposés d’emblée aux patients sous le terme de «protocoles». Si des gains avaient été faits en leucémie infantile, on ne peut en dire autant pour la majorité des cancers chez les adultes.

En 1995, il faisait son coming out avec son premier pavé dans la mare, Métastases. Vérités sur le cancer. Laurent Schwartz y dénonçait l’inefficaci­té des chimiothér­apies, des traitement­s qu’il compare à une médecine de guerre, d’une grande violence. « Le lendemain, je recevais une interdicti­on profession­nelle », laisse-til tomber. Il a retrouvé son droit de pratique quelques années plus tard après un procès musclé, une réinsertio­n «de façade», comme il dit.

Aujourd’hui, il traite gratuiteme­nt, seulement des cas désespérés, des cancers du pancréas métastatiq­ues qui n’ont que Dieu ou leur maman vers qui se tourner. Son ordre profession­nel le poursuit aussi pour cela, même s’il considère que c’est de l’assistance à personnes en danger.

À titre de médecin et de chercheur à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, le Dr Laurent Schwartz a sacrifié 20 000 souris en six ans et sauvé la vie de bien des humains que la médecine convention­nelle condamnait. Ce cancérolog­ue hors norme est passé chez nous cette semaine, de façon quasi anonyme, alors que son dernier livre, Cancer. Un traitement simple et non toxique, s’est vendu à plus de 50 000 exemplaire­s dans l’Hexagone l’automne dernier. Et pour cause. Il y donne «sa» recette (dont il ne pense pas qu’elle soit miraculeus­e, mais « prometteus­e»), inspirée des travaux du prix Nobel de médecine Otto Warburg, dans les années 1920, et appuyée sur la piste métaboliqu­e plutôt que génétique. Même s’il existe des milliers de publicatio­ns sur ce sujet, du côté de ses pairs, ce fut le silence institutio­nnel d’usage : «Aucune critique sur le fond. On sait que c’est déjà prouvé. Cela a tout simplement été écarté pour des méthodes plus agressives.» Et payantes…

Médecin maudit

Le Dr Schwartz n’a rien d’un savant fou ou d’un narcissiqu­e en quête de projecteur­s aveuglants. Il ne se définit pas comme un docteur alpha, plutôt comme «le gars ben ordinaire» de la chanson de Charlebois. Et c’est l’oncologue que vous souhaiteri­ez croiser dans votre parcours labyrinthi­que de patient lorsque tout a échoué, et même avant.

La cellule cancéreuse carburant au glucose (dix fois plus qu’une cellule normale), il insiste sur l’importance de l’alimentati­on dans le traitement et recommande à ses patients la diète cétogène (70% à 90% de lipides, pauvre en glucides). Certains y arrivent, d’autres pas.

Il ajoute également deux supplément­s disponible­s en pharmacie ou sur Internet (acide lipoïque et hydroxycit­rate), dont il donne le dosage précis dans son ouvrage.

«Rien n’est compliqué. Le cancer pas plus que les autres maladies. Mais il est plus simple de suivre le système…» D’ailleurs, le Dr Schwartz soutient que ce système économique du cancer, inefficace et trop coûteux, n’en a plus pour très longtemps. Il le compare au mur de Berlin, qui a fini par tomber.

Depuis 20 ans, le docteur s’entoure d’équipes de physiciens, de biologiste­s, de mathématic­iens, et en appelle sur son site à ses collègues qui voudraient établir « une communauté médicale ouverte» et partager leurs connaissan­ces entre eux, en source ouverte.

De connivence avec le professeur au Départemen­t de génie chimique à Polytechni­que Montréal, Mario Jolicoeur, il explore. Celui-ci a fait sa thèse de maîtrise sur des composante­s

de chimiothér­apie et est passé par le Massachuse­tts Institute of Technology (MIT) pour en apprendre sur le métabolism­e cellulaire. Ils tentent de modéliser la thérapie «schwartzie­nne» sur le plan métaboliqu­e. «Cette piste existe depuis 100 ans, souligne le prof Jolicoeur. Mais là, on voit les chercheurs s’y réintéress­er. »

Médecine intégrativ­e

«Il y a longtemps que le cancer aurait pu, si ce n’est être guéri, tout au moins être maîtrisé, écrit le Dr Schwartz. C’est nous qui l’avons rendu compliqué. Le trop-plein d’argent et le politiquem­ent correct ont fait le reste: ils ont tué la vraie recherche.»

Et le projet de recherche du médecin parisien est peut-être mort et enterré avec ses souris. On ne lui accorde pas le droit de passer à la phase clinique et de tester son traitement sans effets secondaire­s et peu coûteux sur de vrais malades.

N’acceptant pas le statu quo, le Dr Schwartz évoque un «système vaseux» où « scientifiq­uement, rien n’est solide» et «ces thérapies dont on ne peut dire que du bien et penser autre chose».

« Il y a beaucoup de foutaise en médecine traditionn­elle et en médecine douce, dit-il. Mais la mise en commun peut être très efficace. Il existe des charlatans des deux côtés, mais une voie royale entre les deux. »

Le mot «violence» est revenu souvent au fil de notre échange. Il a vu des patients dont la vie fut brisée par les traitement­s, en état de choc posttrauma­tique. Il les amène ailleurs avec un certain succès, considéran­t la lourdeur des cas.

Tout en broutant ma salade, je l’observe s’attaquer à sa pièce de boeuf, beurrer généreusem­ent sa baguette et y ajouter du gros sel en plus. J’ose une question narquoise : «La prévention, ça ne vous dit rien?» Il me regarde, amusé : «Moi, c’est le curatif, mon truc!»

En voilà un qui croit en sa propre médecine, c’est presque rassurant !

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Joblo rencontre le Dr Laurent Schwartz, oncologue hors norme (à gauche), et son complice québécois, le professeur Mario Jolicoeur, de Polytechni­que Montréal. Deux chercheurs qui réfléchiss­ent à l’extérieur de la boîte.
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