Le Devoir

État des lieux de la gentrifica­tion dans Hochelaga-Maisonneuv­e

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RÉAL MÉNARD Maire de l’arrondisse­ment de Mercier–Hochelaga-Maisonneuv­e

MICHEL ROY Directeur général de La Table de quartier Hochelaga-Maisonneuv­e

Le 7 mai prochain, se tiendront au Chic Resto Pop, lieu emblématiq­ue du quartier Hochelaga-Maisonneuv­e, les assises sur la gentrifica­tion, organisées par l’arrondisse­ment de Mercier–Hochelaga-Maisonneuv­e et La Table de quartier Hochelaga-Maisonneuv­e.

Depuis deux décennies, le phénomène de la gentrifica­tion et le quartier Hochelaga-Maisonneuv­e, du moins dans l’espace public, ont été intimement associés. Cette associatio­n a été porteuse de multiples interpréta­tions, tantôt la hausse des loyers, tantôt la spéculatio­n immobilièr­e, en certaines circonstan­ces la transforma­tion de nos artères commercial­es, et, plus négativeme­nt, les vitrines fracassées.

Le but des assises est triple: documenter qualitativ­ement et quantitati­vement le phénomène de la gentrifica­tion, proposer des pistes d’actions qui concernent à la fois l’abordabili­té des logements, l’adaptabili­té aux diverses clientèles locales de l’offre commercial­e, et préserver le vivre-ensemble à travers la réussite de l’expérience de la mixité sociale.

Afin de documenter le phénomène de la gentrifica­tion dans le quartier Hochelaga-Maisonneuv­e, le comité organisate­ur des assises a eu recours aux travaux des chercheurs de l’Institut national de recherche scientifiq­ue (INRS). […]

Plus fondamenta­lement, une enquête auprès de 2111 personnes a été menée par le biais d’un sondage téléphoniq­ue et d’un questionna­ire en ligne. Les questions visaient à recueillir des informatio­ns à propos de l’âge, du revenu, de la scolarité, de la compositio­n des ménages, des activités principale­s (travail/étude), du mode de tenure (locative/propriétai­re) et de l’ancienneté de résidence dans le quartier.

Dans son acception générale, la gentrifica­tion est l’établissem­ent, dans un secteur auparavant pauvre ou populaire, d’une population d’un statut sous-économique supérieur, c’est-à-dire mieux nantie en capital culturel ou économique.

Du côté des causes de la gentrifica­tion, les chercheurs Alexandre Maltais et Gilles Sénécal en ont recensé quelques-unes; le passage d’une économie industriel­le à une économie postindust­rielle, où la tertiarisa­tion a entraîné le déclin de la production manufactur­ière et fait basculer plusieurs quartiers dans une situation de chômage chronique. La croissance d’une classe moyenne salariée et éduquée pour laquelle la banlieue de l’après-guerre apparaissa­it moins adaptée. Finalement, toujours selon la revue de la littératur­e effectuée par ces deux chercheurs, l’entrée des femmes sur le marché du travail, la baisse du taux de natalité et la plus grande flexibilit­é des arrangemen­ts conjugaux auraient également contribué à augmenter la demande pour les logements centraux et plus petits.

La gentrifica­tion dans le quartier HochelagaM­aisonneuve a un certain nombre de conséquenc­es sur les plans social, économique, urbanistiq­ue et démographi­que.

De 1991 à aujourd’hui, une cohorte de plusieurs milliers de citoyens va s’établir dans Hochelaga-Maisonneuv­e avec comme dynamique le rajeunisse­ment de la population et l’augmentati­on du nombre de propriétai­res occupants. Aussi, les 20-34 ans vont représente­r localement 38% de la population, contre seulement 24 % pour le reste de Montréal.

Également, le taux de locataires va diminuer considérab­lement dans Maisonneuv­e, passant de 86 % en 1991 à 79 % en 2011. La raison étant à chercher du côté des grands ensembles de condos tels la Biscuiteri­e Viau, la Confiserie, qui vont voir le jour.

Le nombre de condos va passer de 500 en 1997 à environ 4000 en 2017. Bien que cette croissance soit importante, les condos représente­nt 15% du nombre de logements dans le quartier.

On a assisté à une augmentati­on du coût des loyers privés qui va significat­ivement contribuer à appauvrir des segments importants de la population. Ainsi, un studio se louait 520$ en 2015, un logement d’une chambre à coucher 560$, et un logement de trois chambres 841$. Pareille situation nous amène à conclure que tous les élus du quartier Hochelaga-Maisonneuv­e doivent

être obsédés par la question de l’abordabili­té des loyers et les solutions s’y rattachant. Paradoxale­ment, la perte de logements locatifs

pour cause de conversion a été très inférieure à la constructi­on de logements sociaux. Ainsi de 2003 à 2014, 852 logements ont été soustraits à la disponibil­ité du marché locatif, alors qu’il se construisi­t près de 3000 logements sociaux pour la même période.

La rue Ontario va se transforme­r. On a pu observer l’apparition de réseaux de grande distributi­on, de grands supermarch­és, l’essor de boutiques d’alimentati­on spécialisé­e (boulangeri­es, boucheries, pâtisserie­s) qui en 40 ans vont passer de 4 à 13 établissem­ents. Il y a eu recrudesce­nce du nombre de restaurant­s, qui a bondi de 1976 à 2016 de 44 à 63.

Cependant, la rue Ontario joue pleinement son rôle de rue locale et 92% des répondants à l’enquête de population déclarent s’y approvisio­nner. En somme, la SDC Hochelaga-Maisonneuv­e incarne sans conteste un lieu d’équilibre où la mixité commercial­e permet à une clientèle diversifié­e d’y trouver son compte.

À propos des nouveaux résidants, ceux qui habitent le quartier Hochelaga-Maisonneuv­e depuis moins de cinq ans, l’enquête de population révèle, particuliè­rement chez les propriétai­res, que les deux tiers fréquenten­t nos cafés, bars, équipement­s sportifs et culturels. Ce qui est cependant moins le cas pour les écoles secondaire­s publiques, où la fréquentat­ion décroît avec l’augmentati­on du revenu. […]

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