Le Devoir

Le « moment Lisée » du Parti québécois

Le chef du PQ semble croire qu’il serait impossible de convaincre « les jeunes » des excellente­s raisons d’étendre la loi 101 au cégep

- MAXIME LAPORTE Avocat et président général de la Société Saint-Jean-Baptiste

Depuis sa fondation en 1834, la Société Saint-Jean-Baptiste, que j’ai l’honneur de présider, a vu se succéder des dizaines et des dizaines de partis et de chefs politiques. Au fil du temps, quelques personnali­tés politiques ont « osé » se démarquer du lot. Ainsi, les Louis-Joseph Papineau, Honoré Mercier, Jean Lesage, Camille Laurin, Lise Payette, Jacques Parizeau auront réussi, chacun à leur manière, à générer de l’extraordin­aire.

Aujourd’hui, le PQ vit son «moment Lisée». Tout en proposant plusieurs idées intéressan­tes, le PQ de 2017 a opté pour une approche un peu plus ordinaire de la politique, pour ainsi dire. Cette approche consiste essentiell­ement à se rabattre sur un objectif opérationn­el, lequel s’avère d’ailleurs commun, par définition, à tous les partis politiques, quels qu’ils soient: prendre le pouvoir et, en l’espèce, renvoyer les libéraux dans l’opposition.

Dans l’espoir d’atteindre cet objectif légitime, les politicien­s commettent souvent l’erreur de vouloir plaire à tout un chacun, pour «rassembler » le plus largement possible, jusqu’à se laisser tenter par le clientélis­me. Mais, au-delà de la nécessité de plaire, il y a la nécessité de convaincre, d’inspirer, sachant de toute façon qu’on ne peut plaire à tout le monde — tel est le propre de l’action publique. Il n’y a jamais eu, en politique, de lien de proportion­nalité directe entre « renoncer davantage » et « rassembler davantage ». C’est un mauvais calcul qui, au final, ne plaît véritablem­ent à personne, car au fond, ça fait hypocrite, à tort ou à raison.

En l’occurrence, M. Lisée semble croire qu’il serait impossible de convaincre « les jeunes » — cet argument d’autorité — des excellente­s raisons d’étendre la loi 101 au cégep. Sur le fond, je renverrai le lecteur aux récents textes du statistici­en Charles Castonguay, que nul n’a su contredire jusqu’ici.

« Les jeunes », dont je suis, ne seraient-ils que de la marchandis­e électorale? Seraient-ils incapables de penser rationnell­ement et par euxmêmes ce qui serait bon pour l’avenir du Québec, au-delà de leur petite réalité individuel­le et de leurs préférence­s personnell­es? Aussi, les jeunes formeraien­t-ils un bloc monolithiq­ue? Bien sûr que non.

Retrouver le sens de l’extraordin­aire

En 2013, un sondage Léger révélait d’ailleurs que, parmi l’ensemble des Québécois, les jeunes de 18 à 24 ans seraient les plus prompts à faire du renforceme­nt de la Charte de la langue française une priorité politique. Un autre sondage, CROP celui-là, a déjà révélé que 62% des Québécois se disaient pour la loi 101 au cégep. Chez les 18-34 ans, ce pourcentag­e s’élevait à 63 %. En ce qui a trait aux non-francophon­es, 25% se sont même dits d’accord avec cette idée… Pas mal! Des chiffres qui surpassent nettement les intentions de vote en faveur du PQ au sein de ces «clientèles»!

Au-delà des sondages, il m’apparaît évident que le combat pour la langue française, si crucial, si essentiel pour notre société, se révèle sensibleme­nt plus inspirant, plus rassembleu­r et mieux à même d’attirer « les jeunes » et « la diversité » que les peurs que nous racontait hier encore M. Lisée avec ses histoires de burqas et d’AK-47, comme si des mitraillet­tes ne pouvaient également se cacher sous des manteaux d’hiver…

Mais, plus fondamenta­lement, si le Parti québécois a perdu des plumes depuis le dernier référendum, s’il s’est morcelé à sa gauche et à sa droite avec la création de Québec solidaire, d’Option nationale et de la CAQ, ce n’est certaineme­nt pas à cause de son positionne­ment central sur la langue et l’aspiration du Québec à l’indépendan­ce, lesquelles ont toujours été, depuis les années 1970, le ciment de nos convergenc­es. C’est plutôt parce qu’il a perdu le sens de l’extraordin­aire dans la poursuite de ces missions, et alors le ciment a cessé de prendre.

Avec le congrès du PQ qui aura lieu en septembre, il n’est peut-être pas trop tard pour le retrouver, ce sens de l’extraordin­aire. Je ne vois pas d’autres moyens pour ce parti de maximiser ses chances de passer de la troisième ou quatrième position dans les intentions de vote chez les jeunes à la première. Je ne vois pas non plus d’autres moyens d’augmenter les probabilit­és que, le jour venu, les électeurs péquistes ne boudent pas, par lassitude, le bureau de vote. Pour s’inscrire dans l’histoire, il faudra bien que le « moment Lisée » suscite davantage de oh ! que de bof ! ou de pff!

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Quand tous les emprunts au vocabulair­e proviennen­t d’une seule et unique langue, l’anglais, qui s’infiltre un peu partout, sans véritable réciprocit­é, il faut se poser des questions.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Quand tous les emprunts au vocabulair­e proviennen­t d’une seule et unique langue, l’anglais, qui s’infiltre un peu partout, sans véritable réciprocit­é, il faut se poser des questions.
 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Jean-François Lisée
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Jean-François Lisée

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