Jeunes corps malades
L’histoire d’une résurrection inspirée du parcours courageux d’un slameur à succès
PATIENTS ★★★
Drame psychologique de Mehdi Idir et Grand Corps Malade. Avec Pablo Pauly, Soufiane Guerrab, Moussa Mansaly, Nailia Haroune. France, 2017, 111 min.
Une tragédie a peu à peu effacé Fabien Marsaud pour laisser place au slameur Grand Corps Malade. Après un accident qui a bien failli le clouer à un fauteuil roulant, et une année complète dans un centre de réadaptation, les priorités de ce sportif zélé ont radicalement changé, le poussant vers l’écriture, la chanson, un parcours artistique qui ne ressemblait pas à celui dont rêvait le jeune joueur de basketball d’une banlieue parisienne.
L’histoire de cette résurrection a d’abord fait l’objet d’un livre, inspiré autant de son chemin de croix que de la faune un peu poquée qu’il a côtoyée, offrant une autre variation de cette expérience douloureuse en la portant à l’écran. Et par souci de réalisme, mais sans doute aussi pour rendre hommage à ceux et celles qui l’ont remis sur ses deux pieds, il a planté sa caméra dans le centre qu’il a jadis fréquenté, celui de sa seconde naissance.
Patients, que Grand Corps Malade cosigne avec Mehdi Idir, l’artisan de ses vidéoclips, fait le pari de la symbiose : jamais nous ne sortirons de ces lieux forcément aseptisés et sans élégance, là où des accidentés de la route, de jeunes téméraires et des âmes tourmentées réapprennent à marcher, ou simplement à tenir une cuillère. Leurs progrès sont tributaires de la gravité de leurs tragiques péripéties, qu’ils évoquent avec pudeur, ou à la blague, sans compter leurs moqueries à l’égard du personnel, dont certains sont de véritables caricatures (comme ce préposé trop content d’être heureux, peu à peu éclipsé, et personne ne s’en plaint).
L’alter ego de Grand Corps Malade se nomme Benjamin (Pablo Pauly, solide et constamment sous l’oeil de la caméra), déterminé à sortir au plus vite de cet endroit où il ne peut rien faire par lui-même. Chaque geste accompli, comme le mouvement d’un orteil ou le maniement de la télécommande, se transforme en victoire, mais derrière sa détermination se cache une part de déni. Ses compagnons d’infortune, souvent issus de milieux défavorisés, font preuve d’une franchise désarmante, camouflant mal leurs colères et leur désarroi, galerie de figures attachantes pas tout à fait exemptes de clichés, dont celui de la fantasmatique France black-blanc-beur. Quelques indications temporelles, dont une publicité avec des montants en francs, nous laissent devenir les années 1990, époque où Fabien Marsaud a bien failli y rester.
Un récit étalé sur un an impose un rythme en rupture avec la monotonie des lieux, les deux cinéastes accumulant des incidents dont les impacts sont parfois passés sous silence (une violente chute provoquée par une préposée laisse visiblement Benjamin sans séquelle), s’octroyant aussi des moments visuellement accrocheurs issus de leur monde musical. Leçon de courage qui ne pêche jamais par excès de subtilité, Patients nous fait découvrir de jeunes interprètes à la bouille inconnue, tous d’une grande vérité, appuyés par des acteurs de métier (dont Dominique Blanc et Yannick Rénier) qui donnent beaucoup de noblesse à ces jeunes corps malades.
V.O.: Quartier latin, Beaubien. V.O., s.-t.a.: Forum.