Les entrailles du patrimoine
Pour accéder au nouveau fort Ville-Marie du musée Pointe-à-Callière, il faut emprunter l’égout collecteur, considéré comme une oeuvre d’art et d’ingénierie
Le 17 mai prochain, le musée Pointe-à-Callière de Montréal rendra accessible au public le fort Ville-Marie, l’endroit même où la métropole a été fondée en 1642. Pour accéder à ce tout nouveau pavillon du musée, les visiteurs devront emprunter un égout collecteur. Mais pas n’importe lequel: le premier égout au Canada (et peut-être même en Amérique du Nord)! Observons de plus près ce collecteur qualifié d’oeuvre d’art. Rien de moins.
Une oeuvre d’ingénierie monumentale. De la poésie. Une oeuvre d’art. On parle toujours d’un égout, ici? tenais-je à m’assurer en entendant ces qualificatifs utilisés par Francine Lelièvre, fondatrice du musée Pointe-à-Callière, et Louise Pothier, archéologue en chef du musée, pour le décrire.
Leur enthousiasme est palpable. Construit en 1832 par des ingénieurs écossais, ce collecteur possède une voûte en arc cintré et est fabriqué en pierres taillées, un matériau très durable, dont les blocs font jusqu’à un mètre de long. «Il n’y avait pas de machineries dans ce temps-là, alors imaginez le travail des hommes qui transportaient ça!» s’exclame la passionnée archéologue, qui s’intéresse depuis longtemps aux égouts.
C’était une période où l’on ne faisait pas les choses à moitié. On bâtissait solide comme le roc, à une époque où la métropole avait les moyens financiers de telles ambitions. Tellement que, 180 ans plus tard, ce collecteur, qui fonctionnait encore en 1989, est intact.
«C’était un peu notre chouchou, car il était encore en fonction quand on a construit le musée», dit Louise Pothier, qui a eu la chance d’y mettre les pieds avant qu’il ne soit ensablé.
Pour souligner le 25e anniversaire du musée et le 375e de Montréal, le public pourra, dans quelques jours, l’emprunter
« Le parcours sera immersif, émotif, sensoriel Francine Lelièvre, directrice générale du musée Pointe-à-Callière
à son tour pour se diriger vers le nouveau pavillon du fort Ville-Marie.
Plus qu’une balade, c’est toute une expérience que vivront les visiteurs en traversant la portion de 110 mètres du collecteur.
Pour Collecteur de mémoires, des images de la vie quotidienne de l’époque seront projetées sur les murs de pierre, dans une mise en scène signée Moment Factory (qui d’autre ?). «Le parcours sera immersif, émotif, sensoriel», ajoute la directrice générale, Francine Lelièvre, pour décrire l’expérience qu’elle ne pouvait malheureusement me faire vivre le jour de notre rencontre, puisque des travaux étaient toujours en cours.
Pour la petite histoire
Le collecteur a été construit dans le lit de la petite rivière Saint-Pierre, à un moment où il n’y avait pas encore de ramassage d’ordures et où les déchets et les eaux des latrines étaient envoyés dans ces cours d’eau naturels. Avec le peuplement et l’urbanisation, la rivière a vite été saturée puisque toute la ville y rejetait ses détritus.
Vecteur de maladies et d’épidémies (choléra, fièvre typhoïde), la rivière polluée a alors été canalisée sous la place d’Youville.
«Les rivières urbaines ont peu à peu disparu de la surface des grandes villes, explique Louise Pothier. Elles continuent toutefois de couler sous terre. Mais ce qui est extraordinaire avec ce projet-là, c’est qu’ils ont construit juste au-dessus de cet égout le marché Sainte-Anne, le premier marché public couvert de Montréal. C’est fascinant. Je ne connais aucun exemple ailleurs dans le monde où ils ont fait ça. »
Une idée pas folle du tout puisque les déchets pouvaient illico être évacués par les ouvertures conçues à cet effet.
Réseau patrimonial
Lorsqu’on se promène dans le Vieux-Montréal, on ne réalise pas toute l’ampleur de l’iceberg qui se trouve sous nos pieds. Le collecteur est l’épine dorsale de ce réseau patrimonial que le musée s’apprête à mettre au jour dans la phase II de la Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal.
Bien que le territoire soit désormais une aire protégée, ces constructions historiques auraient facilement pu disparaître sous le poids des édifices modernes.
«En 1992, il y avait des plans pour faire un stationnement souterrain, raconte Francine Lelièvre. Il a fallu que quelques personnes se lèvent et hurlent pour bloquer le projet, qui avait été approuvé. Regardons ce qui se passe aux États-Unis avec les parcs nationaux. Le président a jugé qu’ils n’étaient pas nécessaires, alors il a tout coupé. Notre patrimoine reste fragile, ce n’est jamais gagné. Les seuls protecteurs du patrimoine, ce sont les citoyens, alors il est important de les sensibiliser, de leur montrer que leur ville a toute une histoire, pour qu’ils en soient fiers. Ce sont eux, les porteurs de flambeau.»
Le collecteur est l’épine dorsale de ce réseau patrimonial que le musée s’apprête à mettre au jour dans la phase II de la Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal