L’eldorado des nouvelles plateformes n’est pas une chimère
Comment un documentaire indépendant a quintuplé ses revenus potentiels
Une bonne idée peut générer un bon succès. Faire un documentaire sur le monde des développeurs indépendants de jeux vidéo était une excellente idée. Les Canadiens James Swirsky et Lisanne Pajot l’ont eu il y a sept ans. Ils en ont fait un impressionnant succès en demeurant les maîtres d’oeuvre de toutes les étapes du projet, de son financement jusqu’à sa diffusion mondiale.
Indie Game: The Movie a été autoproduit avec de l’argent du public puis diffusé en festival, en salles classiques, par DVD et sur différentes plateformes numériques. L’équipe de Winnipeg a écoulé en ligne un tas de marchandises promotionnelles. Le documentaire est maintenant disponible en 22 langues.
«Nous sommes deux et seulement deux, et nous avons rejoint un auditoire de trois à six millions de personnes avec notre film», a fièrement expliqué James Swirsky aux quelque 300 professionnels québécois réunis à Tremblant la semaine dernière pour le congrès annuel de l’Association québécoise de production médiatique (AQPM).
La généreuse démonstration du jeune producteur voulait illustrer ce qu’il peut arriver de mieux aux créateurs contemporains indépendants. Du moins à ceux qui savent négocier avec les avantages qu’offrent la révolution numérique, les réseaux sociaux en ligne, les nouveaux pures players de diffusion et le financement participatif.
Tout a commencé là pour Indie Game au début de la décennie. Le site Kickstarter a permis d’amasser environ 30 000 $ pour lancer le projet. Pendant le tournage qui a duré deux ans, le couple Swirsky-Pajot a écrit 197 blogues, 21 783 tweets et 10 286 courriels pour construire et entretenir un réseau de fans du work in progress avec le site indiegamethemovie.com. À la fin de la production, l’équipe avait en main une liste d’envoi riche de 30 000 membres. « Nous avons construit notre auditoire en même temps que nous construisions le film», résume M. Swirsky.
C’est parti
Le film a été sélectionné par le festival Sundance en 2012, où il a gagné le prix du meilleur
montage. Un diffuseur a alors fait une offre de sortie dans quelques salles pour un montant fixe en échange de la cession des droits pour les sorties numériques.
«On sentait que l’on connaissait mieux que ces gens soi-disant avertis comment négocier en ligne», résume M. Swirsky
pour expliquer la décision de refuser l’offre. Sans ouvrir ses comptes, le détenteur d’une maîtrise en administration des affaires a expliqué que cette proposition de Sundance était de X et que toutes leurs démarches indépendantes subséquentes ont rapporté quinze fois plus, 15 fois X.
La visibilité de Sundance a facilité la sortie en salle dans une quinzaine de villes du Canada et des États-Unis en mai et juin 2012. Les cinémas étaient pleins presque à tout coup, grâce à la communauté construite à la première étape. La marge de profit empochée se fixait à 87%, par rapport à 12% pour une alliance commerciale avec un diffuseur traditionnel. «À cette étape, notre grande angoisse c’était le piratage, avoue le cinéaste. Paul Allen [cofondateur de Microsoft] a voulu une copie du film et on a dit non.»
Ça continue
Les sorties numériques se sont ensuite enchaînées en juillet. D’abord sur iTunes (où il est devenu le documentaire le plus vu pendant quatre semaines), sur la plateforme Steam, qui distribue surtout des jeux vidéo, et sur le site personnel des producteurs. En octobre 2012 le docu arrivait sur Netflix, où il a probablement été vu un million de fois (le site ne fournit pas cette donnée). « Pour nous, Netflix a donné une seconde vie à la production, explique M. Swirsky. En l’utilisant correctement après d’autres moyens, cette plateforme a tourné à notre avantage.»
Ce gros joueur a par exemple fait rebondir d’environ 20 % les ventes sur les autres plateformes. La popularité de la production a aussi aidé à faire fleurir les ventes de produits dérivés, qui ont généré environ 30% des revenus totaux. Dans les faits, plus d’un téléspectateur sur cent aurait acheté un t-shirt au beau logo du documentaire, son affiche ou un DVD. Un fan, lui-même créateur de jeux, en a commandé 22. Certains de ces souvenirs étaient dédicacés par les auteurs. «Je peux dire que ça prend environ neuf heures signer son nom 12 000 fois», dit M. Swirsky.
Une édition spéciale du film a été préparée en bout de course. Les cinéastes voulaient d’abord remplir une promesse faite à quelques partenaires financiers du public qui s’étaient engagés à fournir plus de 100$ pour lancer la production. L’extension du film de 96 à environ 300 minutes (en coffrets de trois disques vendus 60$) a demandé encore six mois de montage fin 2013. Toutes les copies ont trouvé preneurs et généré environ 10% des revenus totaux d’Indie Game: The Movie.
Ce genre de succès, basé sur une bonne idée, peut-il se dupliquer ? L’idéateur-entrepreneur du numérique répond en exposant sept leçons tirées de son expérience. Il faut faire faire confiance au long terme; comprendre que les outils ne sont que des outils ; commencer le travail de réseautage très tôt; utiliser de l’aide professionnelle de temps en temps; constater que les droits d’auteur ne servent que si on les exploite; ne jamais arrêter le processus de mise en marché ; et admettre que l’exploitation indépendante d’une production médiatique ne convient ni à tous les producteurs ni à tous les projets. Bien noté, et merci.