Michel Tremblay
Été 55
Nous étions une bonne vingtaine dans mon groupe d’amis, tous âgés de treize à quinze ans, et nous n’avions pas le droit de bouger.
Montréal était figée dans l’été de la poliomyélite et on nous promettait les pires ennuis si on ne restait pas tranquilles. De graves dangers nous guettaient — lesquels, tout restait flou à ce sujet-là —, et au moindre signe d’agitation, à la plus petite parole prononcée trop fort, les mères sortaient sur les balcons pour nous dire de nous calmer si nous ne voulions pas finir dans un fauteuil roulant (cette menace était la seule tangible).
Nous nous réfugiions la plupart du temps sur la grande galerie des Miron, assis par terre, tassés, pour jaser, téter un Coke, raconter des histoires, n’importe quoi, étirer le temps jusqu’à l’heure du coucher. Les plus impatients d’entre nous, ceux qui s’adonnaient au sport, habitués au mouvement, à la dépense d’énergie, se rebiffaient de temps en temps: ils prétendaient ressentir des engourdissements et, à l’insu des adultes, ils s’étiraient, se contorsionnaient, se plaignaient de crampes causées par l’inertie.
Par contre ceux qui, comme moi, préféraient la lecture et la rêverie à l’agitation des sports d’été, passaient un été magique.
Personne ne nous disait que nous allions nous rendre aveugles à force de lire — j’ai découvert cette année-là Jules Verne, les Biggles et les Signe de piste, j’ai aussi appris à haïr Berthe Bernage —, les séances de cinéma se multipliaient et nous n’avons pas vu un seul bâton de baseball de toutes les vacances.
Il faisait noir, nous parlions d’avenir, de la peur de devenir des adultes responsables, des mains se frôlaient, des baisers furtifs étaient échangés, bouche fermée, au goût de produits contre l’acné juvénile.
C’était l’été 1955. Je crois bien que nous étions heureux.