Comment le pays s’est entiché du hockey
Des cris de joie jaillissent. Dominique Savard, spécialiste du développement créatif au Musée canadien de l’histoire, s’excuse d’interrompre ses explications, alors que sa voix est enterrée par cette exclamation soudaine. Des jeunes célèbrent, dans un coin de l’exposition, un but marqué sur une planche de hockey sur table. Puis avec un sourire, Mme Savard ajoute: «C’est l’effet qu’on voulait!»
Lancée le 10 mars dernier dans l’établissement de Gatineau, l’exposition Hockey cherche justement à témoigner de cette passion pour le sport national. Le centenaire de la Ligue nationale de hockey (LNH) était tout désigné. Néanmoins, l’exposition ne se limite pas aux exploits des joueurs professionnels. Elle plonge plutôt, jusqu’au 9 octobre prochain, dans cette culture du hockey qui règne dans notre société d’un océan à l’autre et qui la rythme. Aux côtés des vedettes de la LNH, les salles célèbrent les athlètes du hockey féminin, du hockey sur luge et du hockey amateur.
L’exposition reste avare d’informations écrites ou de statistiques. Elle mise plutôt sur le lien émotionnel entretenu avec ce jeu depuis plus d’un siècle. «Pour nous, un grand défi était de s’adresser aux amateurs de hockey et aux familles, d’avoir autant de respect pour l’amateur de 8 ans que pour celui de 60 ans», raconte Dominique Savard.
Le parcours retourne tout de même aux origines. Dès l’entrée, le plus ancien bâton de «hockey» retrouvé à ce jour au Canada, acquis par le musée en 2014, se tient debout. Il date des années 1830, bien avant que le sport soit organisé, réglementé et même baptisé hockey. Les médailles et les coupes témoignent du passage de variantes plus ou moins formelles vers les premiers tournois d’un jeu désormais encadré une cinquantaine d’années plus tard.
Devant les chandails de laine des joueurs de la première moitié du XXe siècle, on constate la popularité grandissante du sport avec la multiplication de ligues au pays. Certaines, comme en témoignent des photos d’archives, étaient formées par les communautés autochtones, noires et asiatiques, probablement en raison de l’exclusion dont leurs membres étaient victimes dans les autres circuits.
Puis l’ascension de la LNH s’accompagne du vedettariat, illustrée par le macaron en hommage à Howie Morenz après son décès prématuré en 1937, ainsi que l’uniforme de Maurice Richard au match des étoiles de 1949.
Comme dans un amphithéâtre
L’exposition prend ensuite les allures d’une entrée dans un amphithéâtre. Un décor moderne suggère les formes d’un vestiaire pour montrer l’évolution de l’équipement et les joueurs derrière ces changements. Les masques de gardien de Jacques Plante trouvent ici une place de choix derrière une vitrine, mais le visiteur peut manipuler d’autres bâtons, casques ou jambières d’antan.
Au bout du couloir se trouve le plat de résistance : une grande salle avec, en son coeur, une fausse patinoire sur laquelle on souligne les plus grands exploits de l’équipe canadienne lors de championnats internationaux. On y trouve notamment les chandails de Manon Rhéaume aux Jeux olympiques de Nagano en 1998, de Sidney Crosby à ceux de Vancouver en 2010, mais surtout de Paul Henderson, lorsque celui-ci a accompli le but victorieux contre l’URSS lors de la Série du siècle de 1972. Au plafond, un tableau d’affichage diffuse des extraits de matchs désormais historiques.
Autour de la bande, l’exposition fait la part belle aux personnalités marquantes à l’extérieur de la patinoire, comme les entraîneurs, soigneurs, arbitres, journalistes, descripteurs, propriétaires d’équipes et partisans. La section consacrée au business du hockey dévoile notamment un contrat de Maurice Richard d’une valeur de 12 000 $ pour la saison 1956-1957, ainsi qu’un autre de Tim Horton, des Maple Leafs de Toronto, qui détaille les primes auxquelles ce dernier avait droit s’il menait son équipe au premier rang du classement ou à la conquête de la Coupe Stanley. Dans l’espace sur les médias, il est possible d’écouter des descriptions émises par René Lecavalier ou par son équivalent anglophone, Foster Hewitt, mais aussi de commenter soi-même des matchs, un peu à la manière d’un karaoké.
À travers l’ensemble, on constate comment la culture populaire a vêtu les couleurs du hockey. Les livres de recettes publiés par des équipes professionnelles ou les disques vinyles sur lesquels les joueurs donnent leurs conseils techniques en font la preuve, tandis que la quantité imposante de films, romans, bandes dessinées et chansons qui s’inspirent de ce sport nous rappelle son omniprésence. C’est sans compter le milieu des arts visuels, qui s’en est aussi emparé, comme le montre le portrait de Wayne Gretzky brossé par Andy Warhol. Mais en fin de parcours, on constate qu’un jeu de hockey sur table suffit pour éveiller et garder en vie la passion pour ce sport.