Mission scientifique suspendue à cause des icebergs
L’Amundsen a été réquisitionné pour remorquer des bateaux de pêcheurs prisonniers des glaces
Une importante étude de 17 millions sur le réchauffement climatique amorcée par une équipe de chercheurs sur l’Amundsen, le fameux brise-glace de recherche canadien, a dû être annulée en raison de la masse de glaces venues de l’Arctique qui met actuellement en péril les opérations de pêche dans le nord-est de Terre-Neuve. Le navire a été réquisitionné pour des opérations de sécurité et de sauvetage. Une situation qui pourrait se répéter, puisque le réchauffement du climat augmentera la mobilité des glaces arctiques dans le Sud, rendant les conditions de navigation difficiles dans la région, prévient la Garde côtière du Canada.
Lundi, l’équipe de recherche scientifique du programme ArcticNet a annoncé avec regret devoir suspendre la mission BaySys 2017 entreprise le 25 mai dernier, avec des dizaines de scientifiques à bord, pour rejoindre la baie d’Hudson afin de documenter l’impact des changements climatiques sur des écosystèmes et des installations hydroélectriques.
L’équipe scientifique a dû débarquer à TerreNeuve et stopper la mission en cours pour permettre au brise-glace Amundsen d’aller prêter main-forte aux brise-glace légers qui peinent actuellement à aider les navires de pêche exposés à des conditions extrêmes.
«Habituellement, il se forme une arche de glaces dans le Grand Nord qui empêche la banquise de descendre plus au sud. Mais avec le réchauffement, cette arche se forme de moins en moins, donc le flux de glaces qui descend vers le nord-est de Terre-Neuve est extrêmement important et touche aussi la haute Côte-Nord», a expliqué le Dr Louis Fortier de l’Université Laval, directeur scientifique de l’Amundsen et d’ArcticNet.
En fait, les observations menées ces derniers jours par ces chercheurs ont permis de confirmer que les glaces denses et épaisses qui s’accumulent sur les côtes nord-est de Terre-Neuve proviennent effectivement de l’Arctique.
«Nos recherches indiquent clairement que le changement climatique n’est pas quelque chose qui se produira à l’avenir — il est déjà présent. Les résultats de la recherche des scientifiques à bord de l’Amundsen et des réseaux innovants comme ArcticNet montrent que les impacts du changement climatique en Arctique se font
ressentir non seulement sur les écosystèmes et les communautés du Nord, mais aussi sur les environnements et habitants du sud du Canada — comme cela est dramatiquement observé au large de Terre-Neuve », a indiqué hier l’équipe du Amundsen.
Des pêcheurs à bout
L’accumulation exceptionnelle des glaces à Terre-Neuve, pouvant atteindre jusqu’à un mètre d’épaisseur dans certains secteurs, a forcé vendredi dernier le ministre des Pêches et des Océans, Dominic LeBlanc, à allouer une aide d’urgence de quelque 500 $ par semaine aux pêcheurs, que les conditions obligent à rester à quai. Privés de prestations d’assurance-emploi depuis le mois de janvier, plusieurs pêcheurs avaient décidé de prendre la mer malgré ces conditions extrêmes et les avertissements émis par la Garde côtière canadienne. Cette dernière se disait incapable de leur venir en aide sans mettre en péril leurs bateaux ou ses propres navires. La semaine dernière, un hélicoptère a même dû procéder au sauvetage d’un équipage après qu’un bateau de pêche, écrasé par les glaces, eut coulé.
La présence de l’Amundsen permettra d’augmenter la capacité de sauvetage de la Garde côtière, et Pêches et Océans a déjà annoncé que la saison de la pêche au crabe serait prolongée jusqu’au 15 juillet.
Une mission suspendue
Mais la retenue de l’Amundsen sur les côtes de Terre-Neuve a sonné le glas de cette phase de la mission scientifique BaySys, qui doit s’étendre sur quatre ans. Les chercheurs ont conclu qu’ils arriveraient trop tard à la baie d’Hudson pour atteindre leurs objectifs scientifiques. Bien des étudiants, dont une venue de Malte, verront ainsi leurs travaux suspendus. «La conséquence, c’est aussi que les travaux de plusieurs doctorants ne pourront suivre leurs cours. Il faudra annuler ou reporter cette mission, c’est ce qui reste à voir», a déploré le Dr Louis Fortier.
«Ces travaux sont importants, car la baie d’Hudson est un avant-poste du réchauffement climatique et cela nous donne une idée de ce qui va se passer dans l’Arctique », ajoute-t-il.
Les chercheurs d’ArticNet reprendront leurs travaux le 6 juillet et mettront le cap sur le Grand Nord pour une autre mission visant cette fois à étudier l’état de santé des populations du Nunavut. Pour l’occasion, l’Amundsen, transformé en clinique ambulante, voguera de village en village.
Reste que cet épisode fait planer une ombre sur les missions futures du brise-glace scientifique. Une répétition des conditions glacielles observées ce printemps, accélérées par le réchauffement, pourrait priver les scientifiques de ce navire essentiel à la poursuite de l’étude de l’impact des changements climatiques. La flotte actuelle de la Garde côtière, dont plusieurs brise-glace sont à quai pour des réparations majeures, ne permet pas de dégager l’Amundsen à temps plein à des fins scientifiques.
« On espère que les conditions ne deviendront pas toujours aussi sévères, affirme le Dr Fortier, et surtout que le plan de déploiement de la Garde côtière permettra d’avoir plus de navires disponibles pour des opérations de sécurité. »