Le Québec raconté dans une fresque
Un peintre new-yorkais réalise le rêve d’un riche homme d’affaires montréalais
Adam Miller, un jeune peintre de l’Oregon installé à New York, vient de produire, à la demande d’un mécène montréalais, une gigantesque fresque néo-réaliste dans laquelle il interprète, à la manière académique du XIXe siècle, l’histoire du Québec. Avec des personnages suspendus dans la lumière, entre ciel et terre, le peintre
présente une vision de l’histoire politique de ce coin de pays que chérit son commanditaire.
C’est l’homme d’affaires Salvatore Guerrera, président et fondateur de SAJO, un entrepreneur installé à Mont-Royal, qui a commandé l’oeuvre. Elle devrait être présentée dans plusieurs villes canadiennes « pour susciter le dialogue », mais les détails de cette tournée demeurent pour l’instant inconnus.
La fresque immense de 2,75 mètres sur 3 mètres a été montrée pour la première fois à New York la fin de semaine dernière. Elle sera présentée à Montréal dès cet automne. Depuis 2012, au moment où lui est venu le désir de faire réaliser une oeuvre du genre, Salvatore Guerrera rêve de la voir orner un mur d’une institution publique, idéalement de l’Assemblée nationale. «C’est certain que ce serait pour nous l’idéal, mais l’Assemblée nationale ce n’est pas certain encore.»
Perdre les mots
Le mécène croit en la supériorité de la peinture sur les mots pour envisager l’histoire. «Quand on lit sur l’histoire, explique Salvatore Guerrera, on perd les mots, mais quand on regarde, on peut construire un dialogue.»
En activité depuis quarante ans dans le domaine de l’architecture et du design d’intérieur au profit de boutiques de chaînes de détail, Salvatore Guerrera est inconnu du public, sinon peutêtre pour les liens qu’il entretient avec diverses associations caritatives liées à la recherche sur le cancer. Il a néanmoins commandité quelques oeuvres qui appartiennent à la collection de l’Université Concordia. «J’ai toujours été intéressé par l’art public», dit-il en entrevue.
Soutenu depuis quatre ans par l’homme d’affaires montréalais, Adam Miller a produit une fresque à l’ancienne, une sorte d’ascension où, dans le ciel du Québec, se mélangent diverses couches de son histoire politique. « Nous sommes tous les deux très intéressés par la peinture figurative et narrative, la vieille peinture, la peinture pré-moderne », explique l’artiste en entrevue téléphonique. «Je voulais une certaine naïveté », dit pour sa part Salvatore Guerrera, impressionné d’abord par la technique formaliste de ce peintre.
«J’étais à la recherche de quelqu’un qui maîtrise la technique des anciens maîtres», dit-il. L’homme a d’abord brièvement pensé à l’artiste amérindien Kent Monkman, dont il possède quelques oeuvres. Monkman reprend lui aussi ce type de représentations anciennes, mais dans une forme ouvertement revendicatrice. Or ce n’est pas ce qui intéressait l’homme d’affaires pour rendre hommage au Québec au sein du Canada. De l’aveu même de Miller, la réappropriation de cette forme ancienne ne correspond pas à une démarche critique, mais à une adhésion esthétique.
C’est La mort du général Wolfe (1771), de Benjamin West, célèbre toile souvent reproduite pour chanter la victoire anglaise sur les plaines d’Abraham, qui a servi de mesure-étalon à ce que souhaitait faire l’homme d’affaires. C’est ce qu’expliquent en entrevue conjointe Salvatore Guerrera et Clarence Epstein, son conseiller en art. Et c’est avec cette image en tête que s’est donc imposé le choix d’Adam Miller, né en 1979. Miller a été formé en Italie, à la manière des peintres figuratifs des siècles passés, notamment par le peintre canadien Michael John Angel.
Surprise
L’artiste a eu la surprise de se voir commander cette oeuvre immense. «J’ai eu beaucoup à apprendre » sur l’histoire du Québec, dit-il en entrevue. Il dit avoir parlé à plusieurs politiciens pour préparer son travail, mais être tenu au secret sur leur identité. Salvatore Guerrera ajoute qu’il a aussi rencontré des historiens, mais que tous ont demandé une totale discrétion. Donc pas de noms. Il n’empêche que l’artiste, riche de ces expériences, ne croit pas que sa vision de l’histoire soit pauvre: «J’en suis arrivé à une assez bonne compréhension» de l’histoire du Québec, dit-il. Qu’en a-t-il compris exactement ? «C’est une bonne question. Je crois qu’il y a une tension avec les différentes cultures. Les Anglais. Les Français. Et les Amérindiens.»
Son généreux mécène voulait, explique-t-il, raconter l’histoire du Québec à l’occasion du 150e anniversaire du Canada. Quel lien existe-til entre cette histoire du Québec, qu’il fait remonter à Jacques Cartier et au chef Donnacona, et la Confédération de 1867? « Bien, le Québec fait partie du Canada. C’est pour ça, le Québec. M. Guerrera a trouvé un artiste qui pouvait faire une oeuvre qui n’est pas souvent faite aujourd’hui.» Pour l’artiste, il s’agissait d’exprimer «un Nouveau Monde avec une vieille structure ».
Ascension
Les figures politiques dominent dans cette oeuvre, qui fait songer tout de suite à ces représentations innombrables de l’ascension du Christ au XIXe siècle. On y voit, sur un mode biblique, sur fond de ciel lourd fendu par le vol d’oiseaux sauvages, les figures de René Lévesque, Pierre et Justin Trudeau, Lucien Bouchard, Jacques Parizeau, Brian Mulroney et plusieurs autres. Les figures féminines sont en revanche très secondaires, voire marginales, à l’exception d’une jeune femme, figure allégorique du porteur de drapeau.
Des pans entiers de l’histoire et de ses acteurs ont été mis de côté. « Je ne pouvais pas tout mettre», dit l’artiste, même si la dimension de l’oeuvre est considérable. Rien dans ce tableau surchargé qui évoque par exemple les révoltes des patriotes de 1837-1838 ? « J’ai dû faire des choix entre les événements, et il ne me semblait pas que celui-là était nécessaire.» Parmi la multitude de figures politiques plus mineures qu’on obser ve sur ce tableau, celle de Louis-Joseph Papineau fait défaut. «Qui? Pouvez-vous répéter le nom?» Adam Miller finit par avouer tout bonnement ignorer qui est ce Papineau.
Pour lui la figure de Lionel Groulx est très importante. Il l’a représenté au ciel, près d’une scène fabulée de la bataille du Long-Sault. «C’est une figure-clé. C’est la mythologie du Canada français que je représente dans le ciel. Ces gens viennent du passé et ils hantent encore. La Révolution tranquille se trouve au milieu. Les actions populaires en bas.»
Selon Adam Miller, plusieurs endroits devraient accueillir son oeuvre dévoilée dans une galerie de Manhattan la fin de semaine dernière. Il évoque le Musée McCord, qui doit présenter à l’automne cette fresque intitulée Québec. Mais à la direction du musée, on précise que ce n’est pas du tout une exposition officielle du musée, mais tout simplement le prêt d’une salle pour quelques jours. Un livre d’essais publié en marge de cette oeuvre doit être lancé au même moment par l’éditeur universitaire McGill-Queen’s.
Du côté de l’Assemblée nationale, il est rare, explique-t-on à la direction des communications, qu’une oeuvre d’art soit acceptée en don. Pour l’instant, la fresque historique signée par Adam Miller n’a pas fait encore l’objet d’une proposition officielle à l’Assemblée nationale.