De A à Z dès 4 ans
Québec ajoute 100 classes de maternelle en milieu défavorisé et annonce que l’apprentissage des lettres sera au programme
Les enfants qui fréquentent la maternelle 4 ans en milieu défavorisé apprendront désormais les lettres de l’alphabet dans un tout nouveau programme de formation axé sur la littératie. La formation des enseignants sera également bonifiée.
Depuis la création des maternelles 4 ans en milieu défavorisé, en 2013, aucun programme spécifique n’avait été élaboré pour les enfants qui la fréquentent.
Ainsi, les professeurs se tournent souvent vers le programme de la maternelle 5 ans, et les apprentissages se dédoublent, constate le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, en conférence de presse lundi dans une école de Québec. «Dans certains milieux, on se retrouve avec des enfants qui font le même programme en maternelle 4 ans et en maternelle 5 ans. Alors, on va changer les choses », affirme le ministre.
Connaître l’alphabet
Un nouveau programme sera donc élaboré pour les maternelles 4 ans. Celui de la maternelle 5 ans sera également revu pour permettre un apprentissage graduel visant à ce que tous les enfants puissent «apprendre à connaître les lettres à la fin du cycle préscolaire plutôt que de les reconnaître», précise le communiqué de presse.
Reconnaître ou connaître? La différence est plus importante qu’il n’y paraît, explique Sylvain Malette, président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui se réjouit de l’annonce. Connaître une lettre implique que l’enfant est capable non seulement de la reconnaître, mais également de s’en servir, explique-t-il.
«Au ministère, il y a deux écoles de pensée: celle qui dit que le préscolaire ne doit pas servir à faire l’école, et l’autre qui dit que, dans les classes de maternelle 4 ans, en milieu défavorisé, c’est important d’avoir des activités de prélittératie. C’est un grand débat en pédagogie que le ministre vient de trancher », affirme Sylvain Malette.
En point de presse, le ministre confirme son intention de créer «un environnement d’apprentissage » dans les maternelles 4 ans. «La connaissance des lettres, c’est un pas en avant pour augmenter notre niveau de littératie et faire en sorte que nos jeunes puissent apprendre avant la fin du premier cycle du primaire à lire et à écrire.»
Ce dernier évoque une « bonification […] pour la formation qui sera mise en avant à l’égard des enseignants». On parle ici de formation d’appoint pour permettre aux enseignants d’adapter leurs pratiques à des enfants de 4 ans en milieu défavorisé.
«Dans ce contexte-là, on travaille sur la qualité, affirme le ministre Sébastien Proulx. Et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles on ne fait pas du développement partout, un peu sauvage, sans poser de questions, sans vérifier les besoins, sans vérifier l’état des lieux. On le fait progressivement.»
100 nouvelles classes
L’annonce du ministre concernait la création de 100 nouvelles classes de maternelle 4 ans en milieu défavorisé à travers le Québec pour septembre prochain, dont 14 à Montréal, 11 en Montérégie, 13 en Outaouais, 9 dans la Capitale-Nationale et 10 au Saguenay–Lac-SaintJean. Ces ajouts porteront à 288 le nombre total de classes au Québec qui offriront des services à quelque 4300 élèves.
Selon les évaluations du ministère, quelque 24 000 enfants au Québec ne fréquentent aucun service de garde ou de maternelle 4 ans.
Avec l’ajout de 100 classes en milieu défavorisé, le ministre se dit conscient de ne pas pouvoir répondre aux besoins de chacun d’entre eux. Mais il soutient que c’est le nombre de classes que le réseau scolaire peut absorber en ce moment.
Il précise avoir travaillé «en amont» pour déterminer les besoins et la capacité d’accueil de chaque commission scolaire.
«Sur le plan du réseau scolaire, on répond à presque toutes les demandes de maternelle 4 ans qui ont été faites », affirme Sébastien Proulx.
Étude
En mars dernier, une étude de la chercheuse Christa Japel démontrait que le programme de maternelle 4 ans en milieu défavorisé «ne rempli[ssait] pas sa mission», car la qualité n’était pas au rendez-vous. La chercheuse recommandait notamment de «réfléchir avant de déployer plus de maternelles 4 ans» et se désolait du manque d’investissements « pour l’amélioration de la qualité du programme et de la formation des professeurs ».
Jointe en Europe par Le Devoir, la chercheuse émet certaines réserves. «Je n’ai rien contre le fait que l’on continue de développer l’offre, mais il faut investir dans la qualité. Et la qualité, ce n’est pas juste le programme, c’est l’environnement, la formation des enseignants, le matériel, etc. »
Si cette dernière est favorable à la révision du programme, elle met le gouvernement en garde contre l’idée de «trop scolariser», une tendance qu’elle a pu constater en France. « Il faut à tout prix éviter de miser uniquement sur la scolarisation, au détriment du développement des habiletés sociales et de l’adaptation psychosociale. Oui, on peut apprendre les chiffres et les lettres de façon ludique, mais il faut travailler les fonctions exécutives, l’autorégulation et la capacité de jouer. Il faut une approche globale qui vise le développement global. »