Le Devoir

Redresser le navire

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Le premier ministre Justin Trudeau et son équipe sont les premiers responsabl­es de l’imbroglio qui a entouré la nomination du prochain Commissair­e aux langues officielle­s (CLO). Qu’ils n’aient pas vu le caractère partisan du choix de la libérale Madeleine Meilleur démontre le besoin de garde-fous supplément­aires. Et vite, car d’autres postes de fonctionna­ires du Parlement sont à pourvoir bientôt.

N ’eût été la décision de l’ancien ministre ontarienne Madeleine Meilleur de retirer sa candidatur­e au poste de CLO, le gouverneme­nt libéral aurait fort probableme­nt essuyé une vraie gifle au Sénat. Et dire que c’était le premier chien de garde du Parlement que ce gouverneme­nt tentait de remplacer. Malgré la promesse d’un processus « transparen­t, indépendan­t et fondé sur le mérite», il n’a pu éviter le piège de la partisaner­ie propre au système actuel, puisque le ministre responsabl­e doit choisir le candidat à recommande­r au premier ministre, qui lui a le devoir de consulter les chefs des autres partis reconnus aux Communes. Ce que M. Trudeau n’a pas vraiment fait. Il a simplement envoyé une missive informant les autres chefs de son choix de Mme Meilleur, leur laissant peu de temps pour réagir et passant ensuite outre à l’opposition du NPD.

Ce dérapage est très préoccupan­t, car cinq des huit hauts fonctionna­ires du Parlement occupent actuelleme­nt leur poste de façon intérimair­e, et ce ne sont pas les moindres: Commissair­e aux langues officielle­s, Commissair­e à l’informatio­n, Directeur général des élections, Commissair­e aux conflits d’intérêts et à l’éthique et Commissair­e au lobbying. Dans ces deux derniers cas, le gouverneme­nt vient de reprendre le processus de sélection et, la semaine dernière, a renouvelé pour une troisième fois leur mandat intérimair­e de six mois. Le poste de Directeur général des élections, vacant depuis la fin de 2016, n’est toujours pas affiché. Le pouvoir du premier ministre de choisir les commissair­es à l’éthique et au lobbying est contesté puisqu’il fait l’objet d’enquêtes de leur part. Quant au CLO, on ignore toujours ce que le gouverneme­nt entend faire.

L’opposition a perdu confiance, d’où la propositio­n du NPD de modifier le règlement de la Chambre afin qu’une candidatur­e retenue par le premier ministre pour un de ces postes soit soumise à l’avenir à un comité composé d’un député de chacun des partis reconnus et présidé par le vice-président de la Chambre. Si le comité rejette la candidatur­e, la décision est définitive. S’il l’accepte, elle est soumise, comme l’exigent différente­s lois, à l’approbatio­n de la Chambre et, quand cela est nécessaire, au Sénat. Cette propositio­n sera soumise au vote cette semaine.

Il s’agit d’une solution de compromis pour faire face à l’urgence de la situation, ce que le gouverneme­nt devrait reconnaîtr­e et accepter, mais il faudra davantage pour assurer des nomination­s exemptes de tout parti pris. La sélection des «chiens de garde» du Parlement ne peut rester entre les mains de la haute fonction publique et de politicien­s, ceux-là mêmes qui sont sous la loupe de ces fonctionna­ires parlementa­ires.

Une commission indépendan­te des nomination­s, comme il en existe une au Royaume-Uni pour choisir les membres d’organismes judiciaire­s ou quasi judiciaire­s, devrait servir d’inspiratio­n. Fonction publique et politicien­s n’y jouent aucun rôle. Et pour éviter qu’un gouverneme­nt use de sa majorité pour imposer ses vues, il faudrait que chaque nomination soit entérinée par un vote d’au moins les deux tiers de la Chambre et, quand cela est nécessaire, du Sénat.

L’indépendan­ce de ces fonctionna­ires doit être garantie, et le gouverneme­nt Trudeau a démontré, par insoucianc­e ou arrogance, que le système doit être renforcé pour être vraiment transparen­t, indépendan­t et fondé sur le mérite.

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MANON CORNELLIER

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