Cécile Coulon, l’esprit du lieu
La jeune romancière française vient de recevoir le prix des Libraires pour Trois saisons d’orage, son 9e livre
Àtout juste 27 ans, telle une sorte de jeune prodige de la littérature française, Cécile Coulon a déjà publié neuf livres en à peine une dizaine d’années. Depuis Le voleur de vies et Le roi n’a pas sommeil en passant par Méfiez-vous des enfants sages (titres pour la plupart publiés chez Viviane Hamy), la récente lauréate du 63e prix des Libraires en France pour Trois saisons d’orage poursuit de manière forte une oeuvre traversée par la violence sourde, la cruauté et les non-dits.
En compétition pour ce prix avec Jean-Baptiste Del Amo (Règne animal, Gallimard) et Antonin Varenne (Équateur, Albin Michel), l’écrivaine née à Clermont-Ferrand en 1990, en plein coeur de l’Auvergne, semble ainsi avoir une prédilection pour les oppositions entre la ville et la campagne, entre l’homme et la nature.
Trois saisons d’orage n’y fait pas exception.
Dans la France de l’après-Seconde Guerre mondiale, un médecin s’installe dans un village minuscule et isolé, Les Fontaines, «lieu humide et brumeux» niché au creux de falaises percées d’un torrent noir qu’on appelle les Trois-Gueules. «Les Trois-Gueules, secret bien gardé, secret gigantesque, écrasaient les vies d’avant.»
Là-bas, une petite armée de «fourmis blanches», liées les unes aux autres depuis toujours, s’y saignent de génération en génération dans les mines ou cultivent la terre à la sueur de leur front.
Ces histoires sont vues à travers les yeux d’un « homme sans passé», un étranger venu de la ville, un prêtre qui vit dans le village depuis quarante ans. Mais sa voix s’efface vite pour nous raconter l’histoire de ce médecin de la ville qui s’y est lui aussi installé, un solitaire tombé sous le charme aride de cet endroit. Puis l’histoire de son fils, qui deviendra lui aussi médecin, de la femme qu’il va rencontrer, de la fille qu’ils auront ensemble. Et de leurs relations les uns avec les autres — et surtout avec ce lieu hors norme.
Un drôle d’exotisme qui semble se nourrir de la violence larvée de l’endroit, où les éléments de la nature conditionnent sans appel l’existence des hommes. On ne s’étonnera pas non plus d’apprendre que Cécile Coulon a lu Faulkner et Steinbeck.
Chronique d’une lente mais implacable déchéance rurale, d’une tragédie annoncée, Trois saisons d’orage est porté par l’écriture puissante et quasi clinique de Cécile Coulon, qui fait une grande partie de la force du roman.
«Les Trois-Gueules étaient à l’oeuvre, enveloppant leurs habitants de brume et de chaleur. Ils oubliaient doucement, comme on glisse dans un bain brûlant, ils oubliaient qu’il y avait un monde de l’autre côté, et qu’un jour ils avaient, eux aussi, fait partie de ce monde.»
Une sorte d’animisme diffus, qui accompagne à sa manière le triomphe de la matière sur les hommes, contribue aussi au charme noir du roman. Car contrairement aux hommes qui sont venus s’y accrocher, les Trois-Gueules sont là pour y rester. La pierre, le ciel et la foudre y ont raison de tout. Même des silences brûlants qui sont enfouis dans le coeur des hommes. «Il n’y avait pas de secrets aux TroisGueules. »
TROIS SAISONS D’ORAGE
Cécile Coulon Viviane Hamy Paris, 2017, 272 pages