Qui dit vrai à Washington ?
Le secrétaire à la Justice nie toute collusion avec les Russes, mais il invoque le secret professionnel pour taire ses conversations avec Trump
Le gril du comité sénatorial du renseignement a chauffé pendant près de trois heures ce mardi après-midi. Le témoin du jour, Jeff Sessions, secrétaire à la Justice, y a subi la question, les plus mordantes étant portées par des représentants démocrates.
Le procureur général des États-Unis, combatif, a essentiellement démenti toute collusion de sa part avec la Russie pour intervenir dans les élections présidentielles américaines. Il a dit être outré par de telles accusations. «Toute suggestion que j’aurais été de connivence ou que j’aurais eu connaissance d’une entente avec le gouvernement russe, dirigée contre mon pays, serait un mensonge éhonté et détestable», a-t-il dit en montrant alors une pointe d’émotion, dans l’accent chantonnant de son Alabama natal.
Par contre, ce témoignage attendu n’a pas permis d’en apprendre davantage sur le rôle du président dans ce qui est maintenant connu comme «l’affaire russe». Son ministre a refusé de révéler la teneur de leurs conversations sur les sujets soumis à l’examen sénatorial.
M. Sessions a évoqué une obligation de confidentialité. «J’ai été conseillé par des procureurs d’expérience de mon ministère, a-t-il dit. Je crois que c’est en conformité avec mes fonctions.» Son mutisme sélectif a été très sévèrement critiqué par certains sénateurs.
Oublis et démentis
Dès l’ouverture, le président républicain comme le vice-président démocrate du comité ont répété qu’il s’agissait de comprendre dans quelle mesure la Russie s’était impliquée dans les dernières élections présidentielles de 2016 et qu’il fallait empêcher qu’une telle ingérence se répète.
Le procureur général, lui-même un ancien sénateur pendant deux décennies, a commencé son témoignage en disant n’avoir jamais eu de conversation avec un Russe au sujet d’une possible intervention dans le scrutin remporté par le républicain. Il a cependant ajouté croire que
les Russes étaient intervenus dans cette présidentielle et qu’il n’en savait lui-même que ce qu’il en lit dans les médias. Il a même précisé ne pas se souvenir d’avoir été «briefé» sur ce problème.
Jeff Sessions a aussi précisé qu’il n’avait pas eu de conversation avec un Russe, et surtout pas avec l’ambassadeur de Russie à Washington, Sergey Kislyak, à l’hôtel Mayflower en avril, niant ainsi une information diffusée récemment. «Je suis allé là, sans savoir qui y serait », a dit M. Sessions.
Le démocrate Mark Warner, le vice-président du comité, a souligné certains problèmes du témoignage du jour et de déclarations passées du témoin. Il a rappelé que M. Sessions a d’abord nié puis admis avoir eu plus tôt deux rencontres avec des représentants russes.
Tom Cotton, républicain de l’Arkansas, est alors venu à la défense du témoin. Il a décrit le ridicule d’une situation semblable où un sénateur rencontrerait un ambassadeur russe dans un hôtel de Washington, à la vue de tous, pour comploter sur les élections présidentielles des États-Unis. Il a rappelé que «ça ne se passe pas comme ça » dans les films de James Bond ou les romans de John le Carré.
Des faits
Le comité sur le renseignement compte quinze membres. L’audition bipartisane a été aussi longue que celle de la semaine dernière où comparaissait James Comey, ex-directeur du FBI limogé par le président Trump. Il s’agissait de la dixième séance publique de 2017 des sénateurs, la cinquième sur le sujet de l’ingérence russe dans la présidentielle américaine. « Nous allons séparer les faits et les exposer au peuple », a dit d’entrée de jeu le président républicain du comité, Richard Burr.
Plusieurs questions portaient sur l’autorécusation de Jeff Sessions de l’enquête sur l’affaire russe. Son retrait a été justifié par le conflit d’intérêts évident puisque l’enquête le concernait directement, a expliqué le ministre. «Je me suis récusé, mais pas de mon devoir de défendre ma réputation », a-t-il dit.
Il assure n’avoir eu aucun accès à l’enquête qui a pris le relais ni à l’enquêteur spécial Robert Mueller, qui s’occupe maintenant de cette affaire. Le vice-président du comité sénatorial lui a fait promettre de ne pas chercher à faire renvoyer l’enquêteur Mueller. « J’ai confiance en lui », a dit le ministre.
Son rôle dans le licenciement de l’ancien directeur du FBI a été a fait l’objet de questions. Plusieurs sénateurs démocrates ont demandé s’il avait joué un rôle dans ce congédiement, s’il en avait parlé avec le président. M. Sessions a répondu qu’il souhaitait effectivement « un nouveau départ» pour le FBI.
M. Sessions affirme cependant avoir encouragé l’ex-directeur Comey à respecter les règles de communications avec la MaisonBlanche. M. Comey se plaignait de devoir rencontrer le président en tête-à-tête, ce qui aurait permis à M. Trump de le mettre sous pression dans les investigations sur l’affaire russe.
Des doutes
Le sénateur démocrate de l’Oregon, Ron Wyden, a mis en doute plusieurs des déclarations du témoin. «Le public américain en a assez des manoeuvres dilatoires», a-t-il dit. Il a cité d’autres personnes disant que M. Sessions avait eu des contacts avec des Russes de haut rang et qu’il avait plusieurs raisons de se récuser. « Dites-moi lesquelles, alors», a répliqué le procureur général, sans obtenir de détails en retour.
M. Sessions a aussi dit que la lettre qu’il avait signée en mai recommandant le renvoi de M. Comey n’était pas une violation de sa promesse de récusation.
Martin Heinrich, démocrate du NouveauMexique, a été un des plus sévères interrogateurs. Il a demandé pourquoi le témoin se réfugiait derrière son obligation de ne pas révéler la nature de ses conversations avec le président pour ne pas répondre à certaines questions. Il l’a accusé d’obstruction dans l’enquête sénatoriale.
Un autre, Angus Reid, sénateur indépendant du Maine, a souligné que le président ne réclamait pas cette mesure dilatoire. M. Sessions a répliqué qu’il voulait protéger le droit du président d’exercer ce privilège.
James Lankford, pourtant républicain de l’Oklahoma, a appuyé ses collègues démocrates dans leur critique du repli de M. Sessions. Il a rappelé que les sénateurs étaient déjà allés en cour pour obtenir des documents présidentiels, finalement accordés.