Réfugiés syriens, des talents inexploités
Une organisation civile organise un salon de l’emploi en raison de l’inaction de l’État
«L’intégration n’est pas terminée tant que les personnes n’ont pas d’emploi», a mis en garde Lida Aghasi. C’est justement pour cette raison que cette directrice du Centre social d’aide aux réfugiés (CSAI) a cru bon ne pas attendre après le gouvernement pour créer un premier salon de l’emploi «spécifiquement pour les réfugiés syriens» parrainés au privé.
Première initiative de cette envergure, ce rendez-vous de l’emploi qui s’est tenu vendredi dans une église de Pierrefonds a permis à plus de 300 Syriens nouvellement arrivés de rencontrer des employeurs tels que la STM, Lassonde, Saputo. «Ici, vous ne trouverez pas d’emplois chez Adonis ou au Walmart», a déclaré Fatna Chater, conseillère en emploi au CSAI, en donnant le ton de cette première édition de l’événement. «L’emploi, c’est important. Le baromètre de la réussite ou de l’échec, c’est l’intégration économique.»
Faute d’action gouvernementale directe en emploi pour les réfugiés syriens, ce salon a été entièrement porté à bout de bras par le CSAI et ses partenaires, comme la Croix-Rouge et Centraide. «Emploi Québec n’a pas encore créé de programmes particuliers pour les réfugiés syriens. C’est pourtant la moindre des choses. Tout plein d’organismes et de bailleurs de fonds se sont intéressés à eux spécifiquement», souligne Mme Aghasi, admettant être en pourparlers avec le gouvernement sur cette question. «Nous, le CSAI, on apporte notre contribution, alors que l’emploi, ce n’est même pas dans notre mandat. On reçoit les réfugiés parrainés au privé, on les conseille, on les aide avec
« Si ces gens ne trouvent pas d’emploi, ils vont tous partir du Québec» Lida Aghasi
leur CV, et on reçoit le même financement, qu’ils viennent une fois ou cent fois.»
Le modèle québécois de parrainage privé a été salué, l’aide à l’intégration et à la francisation a été bonifiée, mais l’État québécois ne doit pas baisser les bras pour autant, insiste-t-elle. « Dans deux ou trois ans, si ces gens ne trouvent pas d’emploi, ils vont tous partir du Québec! Ce serait une bien mauvaise façon d’avoir dépensé nos fonds publics. Ce serait un échec pour eux et pour nous », fait-elle valoir.
Certains programmes à l’emploi existent, mais sont limités dans le temps ou visent les 18 à 30 ans qui postulent pour un premier emploi. «Il y a tellement de cas différents», dit Mme Aghasi.
Des emplois dans leur domaine
Originaire du nord de la Syrie, Aphem Naoum est médecin de profession. Il a eu longtemps sa clinique et a même travaillé pour le haut-commissariat pour les réfugiés de l’ONU pendant la guerre. Au Québec depuis un an, il se considère comme chanceux de travailler dans une usine de produits métalliques pour 14$ l’heure, un boulot qu’il a trouvé grâce à ses contacts à la paroisse qu’il fréquente. «Je suis content parce que je sais que c’est un emploi temporaire, de survie», dit ce tout nouveau père, dans un bon anglais.
En attendant de passer ses examens au Collège des médecins, il est tout de même venu au salon de l’emploi dans l’espoir de trouver un travail dans le domaine médical, ayant peur de perdre ses compétences s’il ne côtoie pas ce milieu. Son message à son ordre professionnel et à l’État québécois? Plus d’indulgence lorsqu’il s’agit de fournir des certificats ou des diplômes. «On ne vient pas d’un pays normal, il y a une guerre! C’est très difficile d’avoir tous nos diplômes et certificats à jour, ditil. La langue française? C’est bon, je vais l’apprendre. Mais pour le reste, il faut trouver des moyens pour nous faciliter la tâche pour qu’on puisse avoir un emploi dans notre domaine.»
Les réfugiés syriens parrainés au privé sont une catégorie à part, croit Lida Aghasi. Depuis les boat people venus du Vietnam, jamais le Québec n’a accueilli autant de types de réfugiés en aussi peu de temps. « Ceux qui sont parrainés par l’État n’ont souvent même pas de diplôme ou ont fait très peu d’études. Mais les parrainés au privé sont des travailleurs hyperqualifiés, hautement compétents, avec des diplômes universitaires, fait-elle remarquer. Ils doivent faire l’objet de programmes spéciaux, rien que pour eux. »
Selon elle, ce serait «une erreur » de les considérer de la même façon que les résidents permanents et ceux de la catégorie des «travailleurs qualifiés» du ministère de l’Immigration, qui viennent au Québec par choix. « Car ces Syriens arrivent de la guerre, ils n’ont pas le même profil psychosocial et n’ont pas les qualifications langagières. »
Pour Lida Aghasi, il est urgent que le Québec mène une enquête sérieuse pour documenter le nombre et les types d’emplois obtenus par les réfugiés syriens. « Nous sommes très actifs dans le milieu communautaire, mais sommesnous concertés? Pas toujours.»
L’importance du français
Au kiosque des caisses populaires Desjardins, les CV s’empilent devant Annie Chartrand, qui distribue des cartes professionnelles et explique comment poser sa candidature par Internet. Derrière elle, une pancarte traduite en arabe invitant les gens à devenir clients. « Les immigrants, on les intègre. Mais à compétence technique égale, c’est sûr qu’on va privilégier quelqu’un qui parle français», admet cette conseillère en acquisition de talent.
Elle s’est dite néanmoins surprise du bon niveau de français des Syriens. À ceux qui n’ont pas le niveau — nombreux en cette journée de prospection d’emploi —, elle recommande des postes d’entrée, notamment de programmeurs. « C’est ensuite plus facile pour eux de monter, car on privilégie souvent les gens à l’interne. » Même à 49 000 employés, Desjardins continue d’embaucher, surtout en technologies de l’information. Mme Chartrand conseille fortement aux Syriens d’obtenir leur équivalence de diplôme du ministère et de se créer un profil sur les réseaux sociaux, notamment LinkedIn.
En prévision du salon, les CV de 250 Syriens ont été corrigés pour les rendre plus attrayants. Des ateliers de simulation d’entrevue étaient même offerts. Le CSAI s’est assuré que les entreprises présentes n’avaient pas que des emplois demandant peu de qualifications.
Certains Syriens très récemment arrivés sont simplement venus au salon pour prendre le pouls de ce qui s’offre à eux. C’est déjà un premier pas, croit Fatna Chater. «Il faut aller voir les entreprises et, s’il n’y a pas de postes aujourd’hui, il y en aura un autre jour. Le salon, c’est un début », dit-elle.